Étoile montante de la science-fiction américaine, Becky Chambers est avant tout connue pour sa série des Voyageurs qu’il lui a déjà valu moult nominations et récompenses. Cette fois, c’est avec une autre série qu’elle revient chez L’Atalante, celle du moine et du robot.
Dans un format novella, Un Psaume pour les Recyclés Sauvages nous emmène sur Panga, une lune paisible orbitant autour de la planète Motan, alors que Dex, personnage principal de ce récit, connaît une crise existentielle…
Nous n’avons pas besoin d’appartenir à la même catégorie pour être égaux en dignité.
Dex en a assez de la ville. Et pas question de reprendre des études à son âge, c’est-à-dire vingt-neuf ans, dont une bonne partie passée au monastère en tant que moine de jardin. Non, si Dex doit changer de vie, il lui faut quelque chose de plus radical et de plus utile.
C’est ainsi qu’iel décide de devenir moine de thé et de se lancer sur les routes pour parcourir les villages alentour dans un chariot-vélo aussi robuste que polyvalent. Deux ans plus tard, renommé pour son talent et sa bonté, Dex se retrouve à nouveau en plein désarroi. Iel décide alors de rallier un ancien ermitage dans une région sauvage et reculée mais ne s’attend certainement pas alors à tomber sur… un robot !
Car sur Panga, les robots intelligents se sont émancipés depuis bien longtemps, vivants à l’écart de la société humaine et selon leurs propres règles. Omphale, le robot en question, semble sortir tout droit d’un vieux conte pour enfant. Intrigué, Dex va petit à petit nouer une relation d’amitié avec Omphale.
Becky Chambers aime l’avenir. On le sait depuis son premier roman mais celle que l’on désigne souvent comme l’une des figures de proue du courant hopepunk (un courant littéraire qui refuse la noirceur classique des écrits de science-fiction moderne au profit d’un futur plein de promesses et d’espoir) persiste et signe avec Un Psaume pour les Recyclés Sauvages.
La douceur du récit et la beauté de son cadre frappent d’emblée le lecteur. Nous sommes sur une planète où les humains semblent avoir tiré le meilleur parti de l’existence, une existence recentrée autour d’une religion polythéiste à la fois paisible et pacifique où il n’est plus question de rejet de l’autre ou de destruction de son environnement. La société dans laquelle évolue Dex est une société des plus progressistes, sorte d’utopie où tout le monde semble égal et où l’homme a enfin appris à vivre en harmonie avec la Nature qui l’entoure. Cette douceur se retrouve à la fois dans la plume de l’autrice mais également dans le déroulé du récit et la façon d’être des personnages. Il n’y a pas un gramme de noirceur dans cette courte histoire douce comme du miel.
Quand on a grandi dans les infrastructures humaines, il est difficile d’intégrer le fait qu’on voit le monde à l’envers. Même si on sait pertinemment qu’on vit dans un monde naturel qui existait avant et perdurera bien après nous, même si on sait que la nature est l’état naturel du monde, qu’elle n’existe pas seulement dans des enclaves bien entretenues, que la nature n’est pas ce qui se développe dans les secteurs délaissés par les humains ; même si on se croit en harmonie avec le flux et le reflux, le cycle, l’écosystème brut, on a du mal à imaginer un monde intact.
Avec son côté contemplatif assumé, Un Psaume pour les Recyclés Sauvages prend le temps de s’interroger sur le monde alentour et, notamment, sur les relations qu’entretiennent les humains entre eux et avec la Nature. Panga a laissé derrière elle l’ère industrielle et vit dans une nouvelle configuration où l’on respecte la vie animale en la considérant comme précieuse et unique. Dex va aller à la rencontre des siens en leur proposant apaisement et réconfort mais c’est véritablement sa rencontre avec Omphale, un robot, qui va amener le récit sur un terrain encore plus passionnant.
À deux, Omphale et Dex se découvrent mutuellement et Becky Chambers s’amuse avec les clichés pour mieux les tordre et nous apprendre que l’apparence ne fait pas tout, que la nature des êtres vivants s’apprend et qu’elle ne va pas de soi. Petit à petit, Un Psaume pour les Recyclés Sauvages va réfléchir sur le sens de l’existence et sur le but même de vivre. De façon posée et remarquablement bienveillante, Becky Chambers marche dans les pas de Clifford D. Simak et de son Demain, les chiens pour nous donner une forme plus paisible et plus respectueuse de la vie après des siècles de civilisation humaine trempée dans la peur, une peur qui, elle-même, pourrait bien avoir un rôle à jouer.
Dex et Omphale constituent des points d’ancrage pour le lecteur à la fois atypiques et remarquablement humains, validant en soi le fait que peu importe ce que l’on est, nous pouvons tous mieux nous comprendre en prenant simplement la peine d’écouter l’autre.
Aussi doux que passionnant, Un Psaume pour les Recyclés Sauvages impressionne par sa capacité à refuser les clichés et la noirceur pour mieux capter la vérité de ses personnages, le tout en dissertant sur certains sujets cruciaux de notre société tel que le sens à donner à l’existence.
Becky Chambers est à l’image de ses personnages : intelligente, bienveillante et curieuse de tout… c’est certainement cela qui rend ses histoires si attachantes et importantes.
Note : 8.5/10