[…]
Reste que pour l’instant cette série s’offre comme la plus
crédible des tentatives et surtout la plus réussie en la matière. Serge
Lehman s’est entouré de personnes sachant accompagner ce projet, se
plier au genre et à ses codes. Les reproches adressés à Gess comme quoi
il ferait du Mignola restent eux aussi caricaturaux. Ici la manière de
Gess est surtout au diapason du projet de Lehman qui se ramifie jusque
dans sa production et aurait pu aller jusqu’à sa publication en kiosque sous forme de
fascicules si cela n’avait pas été impossible financièrement.
Si La Brigade Chimérique apparaîtra peut-être comme la première bande dessinée francophone de super-héros réussie, je note pour ma part qu’elle apparaît en tant qu’uchronie dans un genre
aujourd’hui difficilement perçu autrement que comme une mythologie.
Dans les années 60 et jusqu’au milieu des années 80, Spiderman ou Daredevil
pouvaient être des héros contemporains, en phase avec leur époque et
son actualité, que l’on pouvait s’attendre à voir au coin d’un
building. Aujourd’hui, ils sont avant tout des mythes dont on peut
donner une version ou travailler d’après un postulat. Le super-héroïsme
semble de nos jours du domaine du « what if » généralisé, un
domaine merveilleux dont on s’amuse à biaiser, nuancer les codes par
exemples, au gré de trouvailles scénaristiques voire graphiques.
La Brigade Chimérique ne sera donc jamais une revanche ou
un rattrapage de la bande dessinée et de la science fiction francophone
dans le domaine du super-héroïsme, mais bien plutôt — et c’est là sa
pertinence — une interrogation féconde sur leur histoire entrelacée.