Qu’il s’agisse d’une uchronie dont la principale divergence originaire est l’assassinat de Charles de Gaulle en 1960 est peut-être l’aspect le moins intéressant de cet ouvrage. Roland Wagner signe une fresque monumentale qui tient tout à la fois de l’utopie, du roman historique, de la SF uchronique (du vinylpunk ?) et de la réflexion sur l’histoire personnelle de l’auteur. Et, avec tout ça, Rêves de gloire se lit d’une traite, l’auteur ayant depuis longtemps maîtrisé l’art de ficeler une scène sans mots inutiles, percutante ou émouvante au besoin, et de la conclure avec une phrase coup de poing ou une chute inattendue. Le principal effet de la mort prématurée du général de Gaulle, c’est de permettre la survie d’un reliquat de l’Algérie française : des enclaves portuaires qui se réduisent en définitive à l’Algérois centré sur la ville d’Alger. Le récit démarre vraiment quand l’ancienne casbah vidée de ses habitants commence à accueillir les premiers « vautriens », des jeunes épris de liberté, d’amour, de musique et d’acide (le LSD de Timothy Leary porte le nom de Gloire, d’où le titre) qui ont fui une France répressive. Les années soixante ne sont pas si différentes, après tout, même si le président Kennedy a survécu à sa tentative d’assassinat, et même si Albert Camus est encore vivant, lui aussi, écrivain national de l’Algérois. Les choses se corsent au milieu des années soixante-dix. En France, une dictature militariste de droite a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État à la Pinochet. Il va naître de la contestation montante en Algérois une insurrection pacifique qui va donner son indépendance à la Commune d’Alger pendant quelques décennies. Mais cette histoire différente de la nôtre dépend de nombreux points tournants (le coup de force soviétique de 1956 en Hongrie a échoué, tandis que l’opération de Suez des Anglais et des Français quelques semaines plus tard a réussi, poussant les Soviétiques à investir beaucoup plus de moyens dans la conquête de l’espace, si bien qu’ils manquent coiffer au poteau la NASA en 1969) et il subsiste de nombreux points obscurs – de l’identité d’un apôtre français de la non-violence dans l’arrière-pays algérien juste avant l’accord de paix avec la France à l’existence (ou non) du fabuleux trésor de guerre du FLN. C’est l’élucidation de ces mystères qui retient l’attention du lecteur aux prises avec une narration à plusieurs voix. La principale qui se détache est celle d’un fan de disques vinyle qui a grandi dans la Commune indépendante, qui est l’héritier sans le savoir de quelques secrets du passé et qui se lance sur la piste d’un quarante-cinq tours introuvable qui semble porter malheur. Le choix de l’auteur d’être avare de noms propres et de s’amuser à brouiller les cartes en multipliant les personnages peut engendrer la frustration, mais cette décision fait aussi de son texte une œuvre chorale dont les voix assez indifférenciées finissent par se confondre et s’unir comme si c’était la matière même de l’uchronie qui s’exprimait de cette manière symphonique. On s’intéresse par conséquent plus à la trame de la tapisserie qu’aux intrigues qui lui servent de motifs. (Si Wagner tenait à ce qu’on saisisse tous les tenants et aboutissants de l’histoire, il n’avait qu’à se montrer plus explicite.) Quelques thèmes ressortent. Il y a la possibilité de l’utopie réalisée, incarnée par cette Commune d’Alger obtenue presque sans violence, même si elle semble promise à un sort presque aussi funeste que celui du « rêve enclavé » d’Ayerdhal dans Parleur (1997). Il y a l’invention d’une épopée musicale francophone en terre algéroise qui n’a jamais eu lieu, mais dont les péripéties sont racontées avec tendresse et un brin de folie. Et il y a l’espoir de changer le monde, qui animait les « vautriens » de la casbah et leurs successeurs. L’uchronie peut cacher un roman historique – La Constellation du lynx (2010) de Louis Hamelin –, ou une thèse politique – L’Histoire de la République de Québec (2006) de Denis Monière. Ici, Wagner signe un acid dream optimiste qui nous plonge dans un rêve dont on ne voudrait pas ressortir. Jean-Louis Trudel

Wagner - Rêves de gloire - Solaris
Qu’il s’agisse d’une uchronie dont la principale divergence originaire est l’assassinat de Charles de Gaulle en 1960 est peut-être l’aspect le moins intéressant de cet ouvrage. Roland Wagner signe une fresque monumentale qui tient tout à la fois de l’utopie, du roman historique, de la SF uchronique (du vinylpunk ?) et de la réflexion sur l’histoire personnelle de l’auteur. Et, avec tout ça, Rêves de gloire se lit d’une traite, l’auteur ayant depuis longtemps maîtrisé l’art de ficeler une scène sans mots inutiles, percutante ou émouvante au besoin, et de la conclure avec une phrase coup de poing ou une chute inattendue.

Le principal effet de la mort prématurée du général de Gaulle, c’est de permettre la survie d’un reliquat de l’Algérie française : des enclaves portuaires qui se réduisent en définitive à l’Algérois centré sur la ville d’Alger. Le récit démarre vraiment quand l’ancienne casbah vidée de ses habitants commence à accueillir les premiers « vautriens », des jeunes épris de liberté, d’amour, de musique et d’acide (le LSD de Timothy Leary porte le nom de Gloire, d’où le titre) qui ont fui une France répressive. Les années soixante ne sont pas si différentes, après tout, même si le président Kennedy a survécu à sa tentative d’assassinat, et même si Albert Camus est encore vivant, lui aussi, écrivain national de l’Algérois.

Les choses se corsent au milieu des années soixante-dix. En France, une dictature militariste de droite a pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État à la Pinochet. Il va naître de la contestation montante en Algérois une insurrection pacifique qui va donner son indépendance à la Commune d’Alger pendant quelques décennies. Mais cette histoire différente de la nôtre dépend de nombreux points tournants (le coup de force soviétique de 1956 en Hongrie a échoué, tandis que l’opération de Suez des Anglais et des Français quelques semaines plus tard a réussi, poussant les Soviétiques à investir beaucoup plus de moyens dans la conquête de l’espace, si bien qu’ils manquent coiffer au poteau la NASA en 1969) et il subsiste de nombreux points obscurs – de l’identité d’un apôtre français de la non-violence dans l’arrière-pays algérien juste avant l’accord de paix avec la France à l’existence (ou non) du fabuleux trésor de guerre du FLN.

C’est l’élucidation de ces mystères qui retient l’attention du lecteur aux prises avec une narration à plusieurs voix. La principale qui se détache est celle d’un fan de disques vinyle qui a grandi dans la Commune indépendante, qui est l’héritier sans le savoir de quelques secrets du passé et qui se lance sur la piste d’un quarante-cinq tours introuvable qui semble porter malheur.

Le choix de l’auteur d’être avare de noms propres et de s’amuser à brouiller les cartes en multipliant les personnages peut engendrer la frustration, mais cette décision fait aussi de son texte une œuvre chorale dont les voix assez indifférenciées finissent par se confondre et s’unir comme si c’était la matière même de l’uchronie qui s’exprimait de cette manière symphonique. On s’intéresse par conséquent plus à la trame de la tapisserie qu’aux intrigues qui lui servent de motifs. (Si Wagner tenait à ce qu’on saisisse tous les tenants et aboutissants de l’histoire, il n’avait qu’à se montrer plus explicite.)

Quelques thèmes ressortent. Il y a la possibilité de l’utopie réalisée, incarnée par cette Commune d’Alger obtenue presque sans violence, même si elle semble promise à un sort presque aussi funeste que celui du « rêve enclavé » d’Ayerdhal dans Parleur (1997). Il y a l’invention d’une épopée musicale francophone en terre algéroise qui n’a jamais eu lieu, mais dont les péripéties sont racontées avec tendresse et un brin de folie. Et il y a l’espoir de changer le monde, qui animait les « vautriens » de la casbah et leurs successeurs.

L’uchronie peut cacher un roman historique – La Constellation du lynx (2010) de Louis Hamelin –, ou une thèse politique – L’Histoire de la République de Québec (2006) de Denis Monière. Ici, Wagner signe un acid dream optimiste qui nous plonge dans un rêve dont on ne voudrait pas ressortir.

Jean-Louis Trudel

Publié le 27 février 2012

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