Des quelques bouquins de Roland C. Wagner que j'ai pu lire, j'avais gardé un souvenir assez diffus de livres vaguement sympa, plutôt pulp, qui font passer un bon moment mais que l'on oublie somme toute assez vite. En d'autres termes, la rencontre entre lui auteur et moi lecteur ne s'était pas vraiment faite, et j'avais plus ou moins laissé tomber. D'où une certaine indifférence à la sortie de Rêves de Gloire, aussi liée au fait que bon, une uchronie sur l'Algérie et la musique, c'est pas forcément pour moi (je n'ai rien contre l'Algérie mais n'y connais rien d'autre que ce qu'on apprend à l'école, et j'ai la culture musicale d'une huître molle.) Sauf que des gens dont je respecte l'opinion, et des gens qui connaissent mes goûts (et quelquefois ce sont les mêmes) ont dit et répété que ce bouquin valait le détour. D'aucuns ont même utilisé le terme de « chef d'œuvre ». Cela a pour le moins attisé ma curiosité, et donc, hop, emporté. Ben… C'est bien. On n'est pas trompés sur la marchandise, c'est très exactement ce qui est dit sur la quatrième de couverture : De Gaulle est tué dans un attentat en 1960, donc pas d'accords d'Évian, l'Algérie reste française pendant encore un petit moment ; de nos jours, un collectionneur part à la recherche d'un disque extrêmement rare, quête qui va le mener (plus ou moins) dans les méandres oubliés de l'histoire algéroise. Mais dit comme ça, c'est un peu réducteur. La quatrième de couv' dit aussi que c'est un roman polyphonique, et c'est le cas : il y a peut-être une dizaine ou une quinzaine de points de vue (je n'ai pas compté), étalés dans le temps (entre en gros 1960 et maintenant) et dans l'espace (la métropole, le bled, Alger). Chacun est à la première personne, aucun n'est nommé, tous racontent leur histoire. Ces narrations sont entremêlées et, par petites touchent, brossent le portrait d'un Alger qui aurait pu exister. Et c'est chouette. Comme on peut s'y attendre, vers la fin on se rend compte de pas mal de choses (notamment sur les identités des narrateurs), les personnages se croisent, se rencontrent et se séparent (ça donne d'ailleurs un effet assez sympathique, quand quelqu'un que l'on connaît uniquement « de l'intérieur » apparaît dans le récit − très subjectif − d'un tiers), et les histoires avec des petits h se téléscopent avec l'Histoire avec un grand Hache. Et au milieu de tout cela, le disque des Glorieux Fellaghas… Il faut dire que Roland Wagner est quelqu'un d'optimiste. Du moins, son bouquin l'est. L'Alger qu'il nous présente, resté français malgré l'indépendance du reste de l'Algérie, est en quelque sorte la poubelle de la métropole. On y déporte les éléments subversifs, les « vautriens » (des hippies, pour simplifier, qui prônent l'amour libre, le pacifisme, la vie en communauté et la fête permanente), qui investissent la casbah et y créent une société à peu près unique. Tout n'est pas rose dans ce bouquin, certaines pages sont même plutôt dures, mais dans l'ensemble, la micro-société algéroise, « crotte de mouche accrochée à un rocher » est plutôt plus sympathique que les alternatives. On pourrait arguer du fait qu'il s'agit là d'une forme d'utopie. Clairement, pour tous ses défauts, on a envie d'y vivre. Et la sauce prend. Le bouquin n'est pas sans défauts (il y a un moment ou deux où j'ai pensé « rôôh là il exagère » − notamment lors d'une référence un peu trop transparente à Hadopi). Il y a aussi des passages brillants (fatalement, j'ai bien aimé la mise en abŷme avec Camus, P. K. Dick et Le Maître du Haut-château). Mais dans l'ensemble, il y a un souffle qui emporte le roman, porté par la première personne multiple et la fausse simplicité de la langue (c'est très direct, mais très travaillé en même temps, notamment au niveau du vocabulaire qui emprunte pas mal d'argot, je suppose à l'arabe et au berbère). Globalement, on s'y croit, on vit avec ces hippies d'un autre lieu qui passent leur temps à taper le bœuf dans des arrière-salles de bistrots de la casbah. Bref. J'ai même eu la surprise de voir que je reconnaissais certains noms (et pas juste Lennon, Halliday et Dutronc). Faut croire que l'huître molle à qui j'ai piqué sa culture musicale n'était pas complètement sourde mais avait pu s'équiper d'un Sonotone à un moment de son existence. Alors, un chef-d'œuvre ? Bah, je n'en sais rien (en fait je ne connais pas assez la production du bonhomme pour placer ce bouquin par rapport au reste). Mais une chose est sûre, c'est que ceux qui me l'ont conseillé ont eu raison, j'ai passé un très bon moment à lire ces Rêves de Gloire.   fifokaswiti  

Wagner - Rêves de Gloire - fifokaswiti

Des quelques bouquins de Roland C. Wagner que j'ai pu lire, j'avais gardé un souvenir assez diffus de livres vaguement sympa, plutôt pulp, qui font passer un bon moment mais que l'on oublie somme toute assez vite. En d'autres termes, la rencontre entre lui auteur et moi lecteur ne s'était pas vraiment faite, et j'avais plus ou moins laissé tomber.

D'où une certaine indifférence à la sortie de Rêves de Gloire, aussi liée au fait que bon, une uchronie sur l'Algérie et la musique, c'est pas forcément pour moi (je n'ai rien contre l'Algérie mais n'y connais rien d'autre que ce qu'on apprend à l'école, et j'ai la culture musicale d'une huître molle.)

Sauf que des gens dont je respecte l'opinion, et des gens qui connaissent mes goûts (et quelquefois ce sont les mêmes) ont dit et répété que ce bouquin valait le détour. D'aucuns ont même utilisé le terme de « chef d'œuvre ». Cela a pour le moins attisé ma curiosité, et donc, hop, emporté.

Ben… C'est bien.

On n'est pas trompés sur la marchandise, c'est très exactement ce qui est dit sur la quatrième de couverture : De Gaulle est tué dans un attentat en 1960, donc pas d'accords d'Évian, l'Algérie reste française pendant encore un petit moment ; de nos jours, un collectionneur part à la recherche d'un disque extrêmement rare, quête qui va le mener (plus ou moins) dans les méandres oubliés de l'histoire algéroise.

Mais dit comme ça, c'est un peu réducteur. La quatrième de couv' dit aussi que c'est un roman polyphonique, et c'est le cas : il y a peut-être une dizaine ou une quinzaine de points de vue (je n'ai pas compté), étalés dans le temps (entre en gros 1960 et maintenant) et dans l'espace (la métropole, le bled, Alger). Chacun est à la première personne, aucun n'est nommé, tous racontent leur histoire. Ces narrations sont entremêlées et, par petites touchent, brossent le portrait d'un Alger qui aurait pu exister.

Et c'est chouette.

Comme on peut s'y attendre, vers la fin on se rend compte de pas mal de choses (notamment sur les identités des narrateurs), les personnages se croisent, se rencontrent et se séparent (ça donne d'ailleurs un effet assez sympathique, quand quelqu'un que l'on connaît uniquement « de l'intérieur » apparaît dans le récit − très subjectif − d'un tiers), et les histoires avec des petits h se téléscopent avec l'Histoire avec un grand Hache. Et au milieu de tout cela, le disque des Glorieux Fellaghas…

Il faut dire que Roland Wagner est quelqu'un d'optimiste. Du moins, son bouquin l'est. L'Alger qu'il nous présente, resté français malgré l'indépendance du reste de l'Algérie, est en quelque sorte la poubelle de la métropole. On y déporte les éléments subversifs, les « vautriens » (des hippies, pour simplifier, qui prônent l'amour libre, le pacifisme, la vie en communauté et la fête permanente), qui investissent la casbah et y créent une société à peu près unique. Tout n'est pas rose dans ce bouquin, certaines pages sont même plutôt dures, mais dans l'ensemble, la micro-société algéroise, « crotte de mouche accrochée à un rocher » est plutôt plus sympathique que les alternatives. On pourrait arguer du fait qu'il s'agit là d'une forme d'utopie. Clairement, pour tous ses défauts, on a envie d'y vivre.

Et la sauce prend.

Le bouquin n'est pas sans défauts (il y a un moment ou deux où j'ai pensé « rôôh là il exagère » − notamment lors d'une référence un peu trop transparente à Hadopi). Il y a aussi des passages brillants (fatalement, j'ai bien aimé la mise en abŷme avec Camus, P. K. Dick et Le Maître du Haut-château). Mais dans l'ensemble, il y a un souffle qui emporte le roman, porté par la première personne multiple et la fausse simplicité de la langue (c'est très direct, mais très travaillé en même temps, notamment au niveau du vocabulaire qui emprunte pas mal d'argot, je suppose à l'arabe et au berbère). Globalement, on s'y croit, on vit avec ces hippies d'un autre lieu qui passent leur temps à taper le bœuf dans des arrière-salles de bistrots de la casbah.

Bref. J'ai même eu la surprise de voir que je reconnaissais certains noms (et pas juste Lennon, Halliday et Dutronc). Faut croire que l'huître molle à qui j'ai piqué sa culture musicale n'était pas complètement sourde mais avait pu s'équiper d'un Sonotone à un moment de son existence.

Alors, un chef-d'œuvre ? Bah, je n'en sais rien (en fait je ne connais pas assez la production du bonhomme pour placer ce bouquin par rapport au reste). Mais une chose est sûre, c'est que ceux qui me l'ont conseillé ont eu raison, j'ai passé un très bon moment à lire ces Rêves de Gloire.

 

fifokaswiti

 

Publié le 16 juin 2011

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