Le voilà donc, le fameux livre dont Roland C. Wagner parle depuis plus de cinq ans et dont il avait l’idée en tête depuis plus de deux décennies. Cinq années pendant lesquelles l’auteur n’a pas sorti d’autres romans (le dernier, Mine de rien, est sorti en 2006), se consacrant plutôt aux traductions de Stephen Baxter ou de Norman Spinrad, parlant juste de sa prochaine création de temps à autre sur quelques forums de discussions. Le voilà enfin, sous une couverture plutôt sobre de Gilles Francescano, couverture quelque peu gâchée par la présence d’un vinyle dans le titre. Mais de quoi s’agit-il ? D’une uchronie centrée sur la guerre d’Algérie et ses conséquences. Dans cette réalité, le général de Gaulle a été abattu dans un attentat en 1960, conduisant les « événements d’Algérie » à prendre une tout autre tournure. Les combats se prolongent jusqu’en 1965, l’armée de libération algérienne, à bout de force, négocie l’indépendance en laissant à la France trois enclaves : Alger et ses environs, Oran et Bougie en Kabylie. Dans l’Algérois de la fin des années 60 s’installent alors les vautriens, mouvement de jeunes inspirés par Timothy Leary et découvrant la gloire, nom local du LSD. Ils participent aux manifestations qui conduisent ce petit territoire à l’autonomie pendant que la France tombe aux mains d’un régime fascisant. Dans cette nouvelle nation un collectionneur de disques se lance à la recherche d’un vinyle particulièrement rare, quête qui le mène à explorer le passé récent de son pays. Avec Rêves de Gloire, Roland C. Wagner pousse les règles de l’uchronie à leurs limites. Alors que beaucoup se contentent d’un point de divergence clair entrainant une intrigue classique, ici, l’uchronie transpire de chaque paragraphe. Organisé en multiples récits courts avec plusieurs narrateurs à différentes périodes, nous assistons à la construction d’une toile impressionniste : chaque page ajoute un trait à cette fresque nous contant trente ans de la vie de l’Algérois. Si l’entremêlement de ces récits (un peu à la manière d’Outrage et rébellion, de Catherine Dufour, avec lequel Rêves de Gloire partage aussi les thématiques sexe, drogue et rock’n’roll) sans indication de narrateur ou d’époque peut dérouter au début de la lecture, on repère rapidement les personnages récurrents et cette gymnastique narrative devient un jeu entre le lecteur et le livre, évitant toute monotonie. Uchronie politique, mais aussi culturelle : par le biais du narrateur principal (qui, s’il n’est pas nommé, semble être tout simplement l’alter ego de Roland C Wagner dans ce monde) et de sa passion pour la musique, les disques et leurs histoires, l’écrivain crée une nouvelle contre-culture (ou plutôt subculture au sens anglo-saxon), alternative francophone crédible au rock et au mouvement hippie, remplie de nombreux clins d’œil, comme le Woodstock français situé à Biarritz ou le guitariste Dieudonné Laviolette dont la trajectoire ressemble fortement à celle de Jimi Hendrix. Le lecteur s’amusera aussi en découvrant au fil du récit d’autres points de divergence tels que la réussite de la révolution hongroise de 1956 provocant l’implosion du bloc de l’Est ou la survie de JFK à l’attentat de Dallas, bâtissant petit à petit une chronologie de cette époque alternative. Tout cela pour arriver à un monde à l’opposé du notre, où la France est tombé sous un talon de fer, où l’Algérois est devenu le refuge de la liberté, aussi bien politique que morale, lieu d’un brassage inédit, sans tutelle anglo-saxonne (on remarquera au passage le travail sur la langue exempte de tout terme anglophone), créant ainsi une nouvelle histoire de France et d’Algérie, où l’optimisme a traversé la méditerranée. Œuvre à part dans la production de son auteur, livre monumental et unique, aussi bien par le travail accompli (la crédibilité de la nouvelle trame historique est sans faille) que par son épaisseur (Roland C. Wagner ne tire jamais à la ligne et ses autres romans ont plutôt une pagination moitié moindre) Rêves de Gloire se dévore et revisite avec un optimisme typiquement wagnérien cette période terrible de l’histoire franco-algérienne d’une manière que seule permet la science-fiction. René-Marc DOLHEN Noosfère

Wagner - Rêves de Gloire - Noosfère

Le voilà donc, le fameux livre dont Roland C. Wagner parle depuis plus de cinq ans et dont il avait l’idée en tête depuis plus de deux décennies. Cinq années pendant lesquelles l’auteur n’a pas sorti d’autres romans (le dernier, Mine de rien, est sorti en 2006), se consacrant plutôt aux traductions de Stephen Baxter ou de Norman Spinrad, parlant juste de sa prochaine création de temps à autre sur quelques forums de discussions. Le voilà enfin, sous une couverture plutôt sobre de Gilles Francescano, couverture quelque peu gâchée par la présence d’un vinyle dans le titre.

Mais de quoi s’agit-il ? D’une uchronie centrée sur la guerre d’Algérie et ses conséquences. Dans cette réalité, le général de Gaulle a été abattu dans un attentat en 1960, conduisant les « événements d’Algérie » à prendre une tout autre tournure. Les combats se prolongent jusqu’en 1965, l’armée de libération algérienne, à bout de force, négocie l’indépendance en laissant à la France trois enclaves : Alger et ses environs, Oran et Bougie en Kabylie. Dans l’Algérois de la fin des années 60 s’installent alors les vautriens, mouvement de jeunes inspirés par Timothy Leary et découvrant la gloire, nom local du LSD. Ils participent aux manifestations qui conduisent ce petit territoire à l’autonomie pendant que la France tombe aux mains d’un régime fascisant. Dans cette nouvelle nation un collectionneur de disques se lance à la recherche d’un vinyle particulièrement rare, quête qui le mène à explorer le passé récent de son pays.

Avec Rêves de Gloire, Roland C. Wagner pousse les règles de l’uchronie à leurs limites. Alors que beaucoup se contentent d’un point de divergence clair entrainant une intrigue classique, ici, l’uchronie transpire de chaque paragraphe. Organisé en multiples récits courts avec plusieurs narrateurs à différentes périodes, nous assistons à la construction d’une toile impressionniste : chaque page ajoute un trait à cette fresque nous contant trente ans de la vie de l’Algérois. Si l’entremêlement de ces récits (un peu à la manière d’Outrage et rébellion, de Catherine Dufour, avec lequel Rêves de Gloire partage aussi les thématiques sexe, drogue et rock’n’roll) sans indication de narrateur ou d’époque peut dérouter au début de la lecture, on repère rapidement les personnages récurrents et cette gymnastique narrative devient un jeu entre le lecteur et le livre, évitant toute monotonie. Uchronie politique, mais aussi culturelle : par le biais du narrateur principal (qui, s’il n’est pas nommé, semble être tout simplement l’alter ego de Roland C Wagner dans ce monde) et de sa passion pour la musique, les disques et leurs histoires, l’écrivain crée une nouvelle contre-culture (ou plutôt subculture au sens anglo-saxon), alternative francophone crédible au rock et au mouvement hippie, remplie de nombreux clins d’œil, comme le Woodstock français situé à Biarritz ou le guitariste Dieudonné Laviolette dont la trajectoire ressemble fortement à celle de Jimi Hendrix.

Le lecteur s’amusera aussi en découvrant au fil du récit d’autres points de divergence tels que la réussite de la révolution hongroise de 1956 provocant l’implosion du bloc de l’Est ou la survie de JFK à l’attentat de Dallas, bâtissant petit à petit une chronologie de cette époque alternative. Tout cela pour arriver à un monde à l’opposé du notre, où la France est tombé sous un talon de fer, où l’Algérois est devenu le refuge de la liberté, aussi bien politique que morale, lieu d’un brassage inédit, sans tutelle anglo-saxonne (on remarquera au passage le travail sur la langue exempte de tout terme anglophone), créant ainsi une nouvelle histoire de France et d’Algérie, où l’optimisme a traversé la méditerranée.

Œuvre à part dans la production de son auteur, livre monumental et unique, aussi bien par le travail accompli (la crédibilité de la nouvelle trame historique est sans faille) que par son épaisseur (Roland C. Wagner ne tire jamais à la ligne et ses autres romans ont plutôt une pagination moitié moindre) Rêves de Gloire se dévore et revisite avec un optimisme typiquement wagnérien cette période terrible de l’histoire franco-algérienne d’une manière que seule permet la science-fiction.


René-Marc DOLHEN Noosfère

Publié le 9 juin 2011

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