Sans doute l’honnêteté m’impose-t-elle en guise de préalable de rappeler que j’ai comme un contentieux avec Roland C. Wagner. Je ne reviendrai pas ici sur les raisons, voyez ma non-chronique des Ravisseurs quantiques… Du coup, j’avais dit à l’époque que je ne chroniquerais plus d’ouvrages de Roland C. Wagner. Et naturellement je me suis posé la question pour celui-ci… J’aurais certes pu jouer l’imbécile borné – j’avoue avoir été tenté, feignasse de moi – et éviter ainsi d’écrire des conneries sur ce Rêves de Gloire.   Mais non.   Parce que, depuis le temps qu’on l’attendait, je savais que s’il y avait un bouquin de Roland C. Wagner que je devrais lire, ça serait celui-ci. Et parce que, je peux bien le dire d’ores et déjà, le bouquin est bon, voire très bon dans l’ensemble, et mérite bien qu’on s’y attarde. Oh, j’ai bien quelques réserves à émettre – et je me doute de comment elles seront appréciées… – mais, justement, j’y vois une raison de plus pour en parler.   Rêves de Gloire, donc. Un beau pavé de 700 pages, une véritable Arlésienne, et probablement le grand-œuvre de Roland C. Wagner (en tout cas, de ce que j’ai pu en lire, c’est d’une ambition sans commune mesure avec le reste). Une uchronie ; on cherche donc le point de divergence. À en croire la quatrième de couv’, ce serait la mort du général De Gaulle dans un attentat le 17 octobre 1960, à la Croix de Berny (l’aurait mieux fait de passer par le Petit-Clamart…), décisive quant au devenir de l’Algérie. Mais, si c’est sans doute là un point de divergence fondamental, et peut-être (je dis bien : peut-être) le plus important, ce n’en est en fait qu’un au milieu d’une foultitude d’autres, qui expliquent et justifient, autant que faire se peut et pour peu que l’on veuille bien jouer le jeu, le monde « autre » créé par Roland C. Wagner. On aurait en effet probablement tort de réduire Rêves de Gloire à une « uchronie algérienne » (ou algéroise), comme le livre a tout d’abord été présenté. Si cette divergence-là fournit un cadre au roman, elle n’en constitue probablement pas le propos essentiel (ou du moins le seul propos) ; car l’auteur, avec son roman, nous plonge peut-être avant tout dans une histoire alternative du rock. Et c’est en jouant sans cesse sur ces deux tableaux, imbriqués à l’extrême, qu’il va nous balader tout au long de son roman-fleuve.   Dans ce monde-ci, la mort de De Gaulle explique (entre autres) le prolongement de la guerre d’Algérie (les « événements », comme on disait…) jusqu’en 1965. Et le conflit aboutit à un résultat bien différent des accords d’Évian : la Partition, soit l’indépendance de la majeure partie de l’Algérie, avec le maintien d’enclaves françaises, dont Oran et, surtout, Alger. L’histoire ne s’arrête bien évidemment pas là : en métropole, on en arrive après quelques années à un coup d’État militaire ; en Algérie, les enclaves sont restituées progressivement, et l’Algérois finit par proclamer une Commune et prendre son indépendance. Voilà, en gros, pour le cadre.   Mais un autre changement fondamental concerne donc l’histoire du rock, et – comme cela semble aller de pair – de la drogue, en l’occurrence la Gloire – lire LSD –, qui a toujours Tim Leary pour apôtre, mais en France essentiellement. Dans les années 1960, au Ritz à Paris, d’abord, puis à Biarritz lors du fameux « Été insensé », la Gloire génère un mouvement alternatif prônant la non-violence et la libération des mœurs au milieu de tout un fatras mystique. On parle bientôt des « vautriens » – lire (putains de) hippies (« Die, hippie, die ! »), mais avant l’heure –, « vauriens toujours vautrés ». Vautriens qui, évidemment, ne plaisent pas plus que ça au pouvoir en place, et se retrouvent pour bon nombre d’entre eux déportés en Algérie (terre de déportation depuis les tout premiers temps de la colonisation, j’en ai bouffé). Là-bas, le rock « gymnase » va progressivement, sous l’influence de la Gloire, se muer en rock « psychodélique », et générer toute une culture vautrienne. Bien évidemment, là encore, l’histoire ne s’arrête pas là – on assistera également à l’émergence du punk, mais bien à l’étranger cette fois, les « tsibis » s’opposant aux « British »… –, mais le mouvement vautrien, avec son discours utopique, est bien au cœur du roman, et la Commune de l’Algérois en est dans un sens un reliquat, tout comme l’attitude des Chaouïas dans les Aurès (là où c’était pas très cool d’avoir 20 ans), influencés par le mystérieux « Prophète ».   Pour nous conter tout ça, Roland C. Wagner a – brillamment – élaboré un roman choral, où l’on change sans cesse de narrateur, pour suivre plusieurs fils rouges. Mais le plus important d’entre eux concerne un collectionneur de disques, de nos jours, qui s’emballe pour une pièce rare, un 45t des intrigants Glorieux Fellaghas intitulé Rêves de Gloire, et sur lequel il semble impossible de mettre la main. Autant dire qu’il s’agit là d’un véritable Graal pour un collectionneur dans son genre. Le problème est que ce disque tue… au sens propre.   On ne peut que se prendre d’enthousiasme pour Rêves de Gloire. Pendant la majeure partie du roman, on en tourne les pages sans se lasser un seul instant, emporté par l’adresse narrative de Roland C. Wagner, dont la plume se révèle qui plus est tout à fait sympathique. Le sujet brûlant de l’Algérie – là encore, expérience familiale, j’en ai bouffé… – est traité judicieusement, avec une profonde empathie et, on le sent, beaucoup d’investissement personnel ; quant à l’histoire alternative du rock, elle est tout simplement (encore que le mot « simplement » ne convienne guère) jubilatoire. Alors oui, sans aucun doute oui, Rêves de Gloire est un (putain de) bon bouquin, qui mérite assurément le détour. C’est, de ce que j’ai pu en lire, de très loin ce que Roland C. Wagner a fait de mieux, et ça mérite d’entrer illico dans une bibliothèque idéale de la science-fiction française. Un grand, très grand roman.   Pas sans défauts, ceci dit, même si je n’y verrais rien de rédhibitoire. Et sans doute ces « défauts » n’en sont-ils pas pour tout le monde – ce livre fait l’unanimité –, et pourra-t-on, hélas, y voir de ma part une certaine mauvaise foi… Boarf, m’en fous, je sais ce qu’il en est véritablement.   Donc. Une chose très personnelle tout d’abord : au bout d’un certain temps – oui, disons le milieu du roman à peu près –, j’ai commencé à trouver pénibles les développements sur la Gloire et sur Tim Leary. Mais je dois reconnaître que cela n’engage que moi, ce thème ne me parlant tout simplement pas.   Plus gênant, et en prolongement direct de cette remarque préliminaire, j’avoue avoir trouvé le roman trop long. 700 pages, c’est quand même du gros… et, à mon avis, ça ne se justifiait pas pleinement ; j’ai trouvé le roman redondant, par moments, et j’ai du coup peiné par endroits, notamment sur les, disons, 200 dernières pages – celles-ci apportent leur lot de nouveaux développements, c’est le moins qu’on puisse dire, mais j’avais pour ma part dépassé le seuil de saturation… Je sais que la comparaison va plaire à l’auteur, mais pour moi, Rêves de Gloire, toutes choses égales par ailleurs, c’est un peu comme La Horde du Contrevent : en l’état, c’est un très bon bouquin, parmi ce que l'on a fait de mieux dans l'imaginaire français ces dernières années ; avec 100 ou 200 pages de moins, ç’aurait été un chef-d’œuvre. Dommage…   Dernière réserve, enfin, qui n’engage à nouveau que moi : j’ai trouvé regrettable l’intrigue façon « thriller » (un genre que je n’ai jamais apprécié, en littérature s’entend) sur ce disque qui tue. Je trouve qu’elle nuit au propos du roman, qui aurait gagné à s’en débarrasser. Autant le dire clairement : j’ai trouvé dommageable que ce roman ait « une histoire », là où il me semble qu’il se suffisait à lui-même. Manque d’audace, peut-être, pour le coup, sur le plan narratif veux-je dire… Car on se doute très vite que la résolution de cette « énigme » ne pourra être que décevante. Tout ça pour ça ? Ben oui. Et si la fin du roman rassemble plutôt adroitement les divers fils rouges du livre, bel et bien en rapport avec le disque des Glorieux Fellaghas, je n’en ai pas moins trouvé fort plate la conclusion de la traque du collectionneur de disques (d’autant qu’elle ne lésine pas sur le deus ex machina). Non, décidément, je pense que le roman aurait gagné à un peu plus d’abstraction. Mais, encore une fois, cela n’engage que moi.    Et, finalement, seule la réserve concernant la longueur excessive du roman peut, j’en suis bien conscient, avoir le moindre caractère « d’objectivité » (encore que…). Alors le bilan est malgré tout clair : Rêves de Gloire est un très bon roman, une brillante uchronie comme on n’en soulève pas tous les quatre matins. C’est bien le grand-œuvre de Roland C. Wagner ; l’Arlésienne n’a pas déçu, on a bien fait d’attendre. À lire, sans aucun doute.     nebalestuncon.over-blog.com

Wagner - Rêves de Gloire - nebalestuncon.over-blog.com
Sans doute l’honnêteté m’impose-t-elle en guise de préalable de rappeler que j’ai comme un contentieux avec Roland C. Wagner. Je ne reviendrai pas ici sur les raisons, voyez ma non-chronique des Ravisseurs quantiques… Du coup, j’avais dit à l’époque que je ne chroniquerais plus d’ouvrages de Roland C. Wagner. Et naturellement je me suis posé la question pour celui-ci… J’aurais certes pu jouer l’imbécile borné – j’avoue avoir été tenté, feignasse de moi – et éviter ainsi d’écrire des conneries sur ce Rêves de Gloire.

 

Mais non.

 

Parce que, depuis le temps qu’on l’attendait, je savais que s’il y avait un bouquin de Roland C. Wagner que je devrais lire, ça serait celui-ci. Et parce que, je peux bien le dire d’ores et déjà, le bouquin est bon, voire très bon dans l’ensemble, et mérite bien qu’on s’y attarde. Oh, j’ai bien quelques réserves à émettre – et je me doute de comment elles seront appréciées… – mais, justement, j’y vois une raison de plus pour en parler.

 

Rêves de Gloire, donc. Un beau pavé de 700 pages, une véritable Arlésienne, et probablement le grand-œuvre de Roland C. Wagner (en tout cas, de ce que j’ai pu en lire, c’est d’une ambition sans commune mesure avec le reste). Une uchronie ; on cherche donc le point de divergence. À en croire la quatrième de couv’, ce serait la mort du général De Gaulle dans un attentat le 17 octobre 1960, à la Croix de Berny (l’aurait mieux fait de passer par le Petit-Clamart…), décisive quant au devenir de l’Algérie. Mais, si c’est sans doute là un point de divergence fondamental, et peut-être (je dis bien : peut-être) le plus important, ce n’en est en fait qu’un au milieu d’une foultitude d’autres, qui expliquent et justifient, autant que faire se peut et pour peu que l’on veuille bien jouer le jeu, le monde « autre » créé par Roland C. Wagner. On aurait en effet probablement tort de réduire Rêves de Gloire à une « uchronie algérienne » (ou algéroise), comme le livre a tout d’abord été présenté. Si cette divergence-là fournit un cadre au roman, elle n’en constitue probablement pas le propos essentiel (ou du moins le seul propos) ; car l’auteur, avec son roman, nous plonge peut-être avant tout dans une histoire alternative du rock. Et c’est en jouant sans cesse sur ces deux tableaux, imbriqués à l’extrême, qu’il va nous balader tout au long de son roman-fleuve.

 

Dans ce monde-ci, la mort de De Gaulle explique (entre autres) le prolongement de la guerre d’Algérie (les « événements », comme on disait…) jusqu’en 1965. Et le conflit aboutit à un résultat bien différent des accords d’Évian : la Partition, soit l’indépendance de la majeure partie de l’Algérie, avec le maintien d’enclaves françaises, dont Oran et, surtout, Alger. L’histoire ne s’arrête bien évidemment pas là : en métropole, on en arrive après quelques années à un coup d’État militaire ; en Algérie, les enclaves sont restituées progressivement, et l’Algérois finit par proclamer une Commune et prendre son indépendance. Voilà, en gros, pour le cadre.

 

Mais un autre changement fondamental concerne donc l’histoire du rock, et – comme cela semble aller de pair – de la drogue, en l’occurrence la Gloire – lire LSD –, qui a toujours Tim Leary pour apôtre, mais en France essentiellement. Dans les années 1960, au Ritz à Paris, d’abord, puis à Biarritz lors du fameux « Été insensé », la Gloire génère un mouvement alternatif prônant la non-violence et la libération des mœurs au milieu de tout un fatras mystique. On parle bientôt des « vautriens » – lire (putains de) hippies (« Die, hippie, die ! »), mais avant l’heure –, « vauriens toujours vautrés ». Vautriens qui, évidemment, ne plaisent pas plus que ça au pouvoir en place, et se retrouvent pour bon nombre d’entre eux déportés en Algérie (terre de déportation depuis les tout premiers temps de la colonisation, j’en ai bouffé). Là-bas, le rock « gymnase » va progressivement, sous l’influence de la Gloire, se muer en rock « psychodélique », et générer toute une culture vautrienne. Bien évidemment, là encore, l’histoire ne s’arrête pas là – on assistera également à l’émergence du punk, mais bien à l’étranger cette fois, les « tsibis » s’opposant aux « British »… –, mais le mouvement vautrien, avec son discours utopique, est bien au cœur du roman, et la Commune de l’Algérois en est dans un sens un reliquat, tout comme l’attitude des Chaouïas dans les Aurès (là où c’était pas très cool d’avoir 20 ans), influencés par le mystérieux « Prophète ».

 

Pour nous conter tout ça, Roland C. Wagner a – brillamment – élaboré un roman choral, où l’on change sans cesse de narrateur, pour suivre plusieurs fils rouges. Mais le plus important d’entre eux concerne un collectionneur de disques, de nos jours, qui s’emballe pour une pièce rare, un 45t des intrigants Glorieux Fellaghas intitulé Rêves de Gloire, et sur lequel il semble impossible de mettre la main. Autant dire qu’il s’agit là d’un véritable Graal pour un collectionneur dans son genre. Le problème est que ce disque tue… au sens propre.

 

On ne peut que se prendre d’enthousiasme pour Rêves de Gloire. Pendant la majeure partie du roman, on en tourne les pages sans se lasser un seul instant, emporté par l’adresse narrative de Roland C. Wagner, dont la plume se révèle qui plus est tout à fait sympathique. Le sujet brûlant de l’Algérie – là encore, expérience familiale, j’en ai bouffé… – est traité judicieusement, avec une profonde empathie et, on le sent, beaucoup d’investissement personnel ; quant à l’histoire alternative du rock, elle est tout simplement (encore que le mot « simplement » ne convienne guère) jubilatoire. Alors oui, sans aucun doute oui, Rêves de Gloire est un (putain de) bon bouquin, qui mérite assurément le détour. C’est, de ce que j’ai pu en lire, de très loin ce que Roland C. Wagner a fait de mieux, et ça mérite d’entrer illico dans une bibliothèque idéale de la science-fiction française. Un grand, très grand roman.

 

Pas sans défauts, ceci dit, même si je n’y verrais rien de rédhibitoire. Et sans doute ces « défauts » n’en sont-ils pas pour tout le monde – ce livre fait l’unanimité –, et pourra-t-on, hélas, y voir de ma part une certaine mauvaise foi… Boarf, m’en fous, je sais ce qu’il en est véritablement.

 

Donc. Une chose très personnelle tout d’abord : au bout d’un certain temps – oui, disons le milieu du roman à peu près –, j’ai commencé à trouver pénibles les développements sur la Gloire et sur Tim Leary. Mais je dois reconnaître que cela n’engage que moi, ce thème ne me parlant tout simplement pas.

 

Plus gênant, et en prolongement direct de cette remarque préliminaire, j’avoue avoir trouvé le roman trop long. 700 pages, c’est quand même du gros… et, à mon avis, ça ne se justifiait pas pleinement ; j’ai trouvé le roman redondant, par moments, et j’ai du coup peiné par endroits, notamment sur les, disons, 200 dernières pages – celles-ci apportent leur lot de nouveaux développements, c’est le moins qu’on puisse dire, mais j’avais pour ma part dépassé le seuil de saturation… Je sais que la comparaison va plaire à l’auteur, mais pour moi, Rêves de Gloire, toutes choses égales par ailleurs, c’est un peu comme La Horde du Contrevent : en l’état, c’est un très bon bouquin, parmi ce que l'on a fait de mieux dans l'imaginaire français ces dernières années ; avec 100 ou 200 pages de moins, ç’aurait été un chef-d’œuvre. Dommage…

 

Dernière réserve, enfin, qui n’engage à nouveau que moi : j’ai trouvé regrettable l’intrigue façon « thriller » (un genre que je n’ai jamais apprécié, en littérature s’entend) sur ce disque qui tue. Je trouve qu’elle nuit au propos du roman, qui aurait gagné à s’en débarrasser. Autant le dire clairement : j’ai trouvé dommageable que ce roman ait « une histoire », là où il me semble qu’il se suffisait à lui-même. Manque d’audace, peut-être, pour le coup, sur le plan narratif veux-je dire… Car on se doute très vite que la résolution de cette « énigme » ne pourra être que décevante. Tout ça pour ça ? Ben oui. Et si la fin du roman rassemble plutôt adroitement les divers fils rouges du livre, bel et bien en rapport avec le disque des Glorieux Fellaghas, je n’en ai pas moins trouvé fort plate la conclusion de la traque du collectionneur de disques (d’autant qu’elle ne lésine pas sur le deus ex machina). Non, décidément, je pense que le roman aurait gagné à un peu plus d’abstraction. Mais, encore une fois, cela n’engage que moi.

 

 Et, finalement, seule la réserve concernant la longueur excessive du roman peut, j’en suis bien conscient, avoir le moindre caractère « d’objectivité » (encore que…). Alors le bilan est malgré tout clair : Rêves de Gloire est un très bon roman, une brillante uchronie comme on n’en soulève pas tous les quatre matins. C’est bien le grand-œuvre de Roland C. Wagner ; l’Arlésienne n’a pas déçu, on a bien fait d’attendre. À lire, sans aucun doute.

 

 

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Publié le 16 juin 2011

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