L’espace d’un an, de Becky Chambers. C’est un roman qui s’éloigne plutôt de ce qui se fait habituellement en SF, ça sort un peu de notre zone de confort, et c’est bourré d’humour !

L'espace d'un an - Dokushosan'yo
Article Original

Me revoilà pour vous parler de mon dernier coup de cœur : un roman de science-fiction qui s’appelle L’espace d’un an. Il s’agit du premier tome de la saga Wayfarers, écrite par Becky Chambers. Les romans de la saga ne se suivent pas vraiment : ils se déroulent dans le même univers mais ne suivent pas les mêmes personnages. Ce tome a donc une fin, une vraie, et l’histoire qui s’y déroule est complète !

Un coup de cœur, donc, comme je l’ai dit. Je suis tout simplement tombée amoureuse de ce livre, de son univers, de ses personnages. C’était doux, comme quelqu’un qui vous prend dans les bras, mais sous forme de livre (des livres qui font des câlins, clairement un concept à faire breveter, au passage). C’était exactement ce que je voulais lire, et ce dont j’avais besoin au moment où je l’ai lu. Une rencontre parfaite, en somme, dans mon cas en tout cas. Si le livre a globalement de bonnes notes, je pense également que tout le monde ne sera pas le public cible, mais on va y revenir ! En tout cas, les éditions L’Atalante, et plus particulièrement leur collection de La Dentelle du Cygne, sont vraiment à suivre, pour ma part : c’est la 2e fois qu’un de leurs romans devient un de mes coups de cœur ! Je ne sais pas si c’est un parti pris de leur part, mais j’ai l’impression qu’ils publient de vraies perles, pas forcément des OVNI absolus, mais des œuvres qui ne se trouveraient pas forcément s’ils ne s’étaient pas penchés dessus.

L’espace d’un an, ou le feel-good à la sauce SF

À la base, j’ai trouvé ce livre en cherchant sur internet des livres de space opera* avec des personnages qui tissent des liens familiaux sans être liés par le sang (« found family » comme on appelle ça en anglais). Et il répond exactement à ce critère.

Dans ce roman, on suit en effet l’équipage du Voyageur, un vaisseau tunnelier qui fore des trous de vers dans l’espace. En effet, c’est de cette façon que les espèces intelligentes (les intells) de la galaxie voyagent et se rendent d’un point A à un point B sans y passer des millions d’années-lumières.

On retrouve donc huit membres d’équipage, plus Rosemary qui les rejoint au début de l’histoire et qui va découvrir tout ce petit monde, et se lier à eux. Une façon intelligente de nous présenter les personnages, et le monde spatial de façon générale car Rosemary, si elle parle plusieurs langues, n’a jamais quitté Mars et n’a eu que peu de vrais contacts avec d’autres espèces intelligentes que les humains.

C’est fait sans lourdeur, même si bien sûr ce n’est pas forcément subtil. En tout cas ça ne m’a pas dérangé : j’ai découvert tout ceci en même temps que Rosemary, et encore, pas tout à fait, car il y a plein de choses, de mots, d’abréviations, etc, qui sont utilisés et qu’on ne comprend pas. L’autrice nous largue dans cet univers sans back-up, et j’ai apprécié : ça aide à s’immerger totalement même si au début on est perdu. Ne vous inquiétez pas ceci étant : les termes utilisés, vous allez les comprendre par déduction sans trop de problème (si c’est un objet vous comprendrez ce que c’est vu l’utilisation qui en est faite par exemple), soit on explique plus tard ce dont il s’agit (les extraterrestres mentionnés sont décrits à un moment ou un autre), ou bien… Tout bêtement il n’y a pas forcément besoin de détail. Tout le monde ou presque boit du mik. C’est quoi le mik ? Quelle importance ? C’est une boisson, y a-t-il besoin d’en savoir forcément plus ? Bref, comme je le disais, l’autrice nous immerge dans le monde, à nous d’apprendre à y nager. Mais ça va, on ne nage pas dans une mer de 10 km de profondeur non plus.

Leur mission ? Faire un trajet d’une année (un standard, l’unité de temps dans l’espace galactique) pour se rendre à une petite planète ayant tout juste rejoint l’alliance de l’Union Galactique (qui regroupe la plupart des espèces intelligentes de la galaxie) afin de la relier aux autres par un trou de ver.

L’intrigue n’est pas plus compliquée que cela. D’ailleurs, il n’y a pas vraiment de grosse intrigue : c’est un roman découpé en tranches de vie. On va suivre les membres de l’équipage au fur et à mesure de leur voyage, de leurs arrêts sur diverses planètes/lunes, leurs problèmes, leurs doutes, l’évolution de leurs relations, etc. C’est donc effectivement « lent », il n’y a pas vraiment d’action à proprement parler, pas de grosse aventure ou autre. Si vous n’aimez pas ce genre d’histoires, vous n’allez probablement pas apprécier celle-ci.

Pour autant, peut-on dire qu’il ne se passe rien ? Non. Ce qu’il s’y passe, ce sont des moments de vie quotidienne, tout simplement. Des vies quotidiennes futuristes, voire extraterrestres, mais des vies quotidiennes tout de même. Les personnages sont hauts en couleur et tous très différents, ils ont tous leurs problèmes personnels qui sont dévoilés au fur et à mesure du récit, et celui-ci se prête aussi à découvrir le monde incroyablement riche créé par l’autrice. On y découvre les diverses espèces de la galaxie, quelques notions de géopolitique, les coutumes les uns des autres, les points de vue que telle espèce peut avoir sur une autre, comment les Humains en sont arrivés là… C’est le pied si vous êtes du genre à apprécier les petits bouts d’histoire liés au monde dans lequel une histoire évolue, qui n’ont pas forcément de rapport avec les personnages que vous suivez.

Et, de façon générale, c’est très très feel-good. L’équipage forme une entité très unie, les personnages sont très bienveillants les uns avec les autres (il y a des ratés, des cafouillages, et des mésententes, mais ça fait du bien de voir des personnages qui COMMUNIQUENT bon sang) et il y a plusieurs passages qui m’ont beaucoup touchée, notamment un passage où le Docteur Miam (médecin et cuisinier de l’équipage) discute avec Rosemary de leurs traumatismes respectifs.

« Ce n’est pas la même chose. Ce qui t’est arrivé, ce qui est arrivé à ton espèce, c’est… Ce n’est pas comparable.

-Pourquoi ? Parce que c’est pire ?

-Oui.

-C’est comparable. Si tu as un os fracturé, et que, moi, je me suis cassé tous les os, ça va guérir ta fracture ? Ça va diminuer ta douleur, de savoir que je souffre davantage ?

-Non, mais ce n’est…

-Si, c’est pareil. Les sentiments, c’est relatif. Et, au fond, ils sont tous pareils, même s’ils naissent d’expériences différentes et se déploient sur des échelles différentes. »

Docteur Miam et Rosemary, chapitre « La Dernière Guerre », p. 238

Personnellement, c’est exactement le type de feel-good que je voulais lire. Je suis toujours déçue des romans feel-good qui, bien souvent, parlent d’expérience qui ne m’intéressent pas, et de personnages qui ont des objectifs que je ne poursuis pas du tout et auxquels je ne m’identifie pas. Ici, les personnages ont beau être aliens (même les humains qui au final ont une vie qui ne ressemble plus à la nôtre du tout), je me suis retrouvée facilement, à la fois dans leur simplicité et la complexité de leur façon de penser.

Et, pour ne rien gâcher, il y a aussi beaucoup d’humour !

Un worldbuilding aux petits oignons

Le worldbuilding, c’est tout le travail d’un écrivain lorsqu’il construit son monde fictif, tout ce qu’il ne met pas forcément dans son histoire mais qui a son importance. Il s’agit des caractéristiques des espèces, les lieux, comment fonctionnent la magie et/ou la science, etc. J’adore un worldbuilding bien fait, bien pensé, bien construit, et ici, j’ai été servie !

Dans ce livre, il y a à peu près tout ce que j’aime(rais) voir en SF : des espèces extraterrestres bien écrites, pas calquées sur le modèle humain, des conceptions sociales différentes sur plein de choses (genre, relations familiales, relations amoureuses/sexuelles, etc), des coutumes à eux, des physiologies originales, un monde certes totalement différent du nôtre mais où les gens restent des gens (il y a des mentions de jeux vidéo, de concerts, de passe-temps tout bêtement) et où les petits détails rendent les choses plus concrètes et crédibles. Il y a des questions sociales qui sont là en sous-texte ou carrément abordées, des relations interespèces intéressantes et n’impliquant pas forcément les humains… (par exemple, l’espèce des Harmagiens était de gros colonisateurs bien avant que les humains ne débarquent dans le monde de l’exploration spatiale, et cela a forcément une influence sur comment ils sont perçus par les espèces ayant subi cela).

Bref. Un monde bien pensé, comme je l’ai déjà dit ! C’est pourquoi j’ai hâte d’en découvrir davantage en lisant les autres romans, même si ceux-ci ne sont pas centrés sur les personnages que j’ai appris à apprécier. L’autrice a réellement créé un monde pour ensuite y faire vivre ses personnages, et non l’inverse, ça se sent et c’est ce que j’aime, ce que je cherchais.

L’amour sous différentes formes

Ce que je cherchais, avec l’idée de voir des personnages tisser des liens familiaux entre eux, c’était autre chose que l’éternel amour romantique plus fort que tout. Je déteste l’idée que l’amour romantique surpasse le reste. Tout d’abord parce que c’est faux, et ensuite parce que l’amour romantique, ça va, j’en ai soupé, il y en a partout, tout le temps, et j’en ai ras le bol.

L’amour a des tas de formes.

L’amitié, l’affection que l’on ressent pour les membres de sa famille (au sens large, que ce soit la famille de sang ou la famille que l’on choisit), ce sont des formes d’amour. L’amour que j’ai pour mon petit chien, c’est de l’amour, et je l’aime aussi fort, que si c’était un humain. Et encore là, toutes ces formes d’amour peuvent s’exprimer de plusieurs façons. J’aime énormément mes amis, mais je ne les aime pas de la même façon. En bref, tous les amours peuvent se valoir, peu importe pour qui on le ressent, comment on le ressent, et le type d’amour dont il s’agit.

L’Espace d’un an explore tout cela. On y retrouve Kizzy et Jenks, les techniciens du vaisseau, qui s’aiment d’une amitié si forte qu’ils se considèrent frère et sœur. On a Sissix, la navigatrice, qui possède une famille, celle dans laquelle elle a été élevée, et une 2e, l’équipage du Voyageur, qu’elle s’est choisie, et l’amour qu’elle éprouve pour les deux, qui s’exprime de deux façons, totalement différentes l’une de l’autre. On a Ashby, le capitaine, très protecteur envers tout le monde, et le Docteur Miam, une véritable maman-poule envers l’équipage. On a Jenks qui est amoureux de Lovey, l’Intelligence Artificielle de l’équipage, qui l’aime en retour, même si elle ne possède aucun corps ou apparence physique (de l’amour romantique, mais une conception plutôt platonique du coup, avec certaines nuances toutefois, ce qui le rend à mon avis vraiment intéressant). On a des formes de polyamour, mais aussi une espèce extraterrestre qui a besoin d’exprimer son affection par le contact physique, un contact que nous humains trouverions très romantique justement, voire sexuelle, alors que pour eux, il ne s’agit pas de ce type de sentiment.

Bref, beaucoup de façons de s’aimer, toutes différentes, positives, et qui fond chaud au cœur.

En bref

Si vous aimez le feel-good qui met du baume au cœur, les personnages attachants, une SF calme, tranquille, où l’on suit plus des vies « normales » (ou presque), les histoires découpées en tranches de vie et que l’absence d’intrigues à moult rebondissements ne vous dérange pas, que vous aimez les mondes créatifs et originaux, et que comme moi vous en avez un peu ras le bol des humains, partout les humains, tout le temps les humains, alors je ne peux que vous recommander très chaudement L’espace d’un an, de Becky Chambers. C’est un roman qui s’éloigne plutôt de ce qui se fait habituellement en SF, ça sort un peu de notre zone de confort, et c’est bourré d’humour !

Un coup de cœur personnel que je ne risque pas d’oublier, et qui me fait souhaiter trouver davantage de SF de ce type, pas forcément tranche de vie, mais aussi originale.

Dokushosan'yo

Publié le 26 mai 2021

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