L’un de ces beaux romans de SF que l’on referme en s’étant non seulement bien évadé pendant quelques heures mais aussi en se sentant mieux, en ayant une foi renouvelée dans les capacités de l’humanité.

Encore un auteur à découvrir grâce aux Editions de l’Atalante : Becky Chambers, avec "L’Espace d’un an", nous fait découvrir la vie quotidienne d’un équipage de vaisseau spatial. Certes, le "Voyageur" n’est pas n’importe quel vaisseau, il s’agit d’un tunnelier qui creuse des trous de ver dans l’espace à la commande pour faciliter les voyages interstellaires. Et son équipage n’est pas non plus n’importe lequel : il est particulièrement bigarré, entre son capitaine, Ashby, un brave type issu de la flotte de l’Exode, celle qui a abandonné le système solaire et a été sauvée par les Aéluons, compétent et compréhensif, son pilote, Sissix, une Aandriske ressemblant à un petit dinosaure affectueux avec écailles et plumes, Artis Corbin, Caucasien pure souche né sur Encelade, roi des "enfoirés" et alguiste hors pair, le docteur et grand cuisinier Miam (son nom véritable est imprononçable), l’un des derniers de son espèce, Ohan, la paire sianate qui est seule capable, grâce à son virus, de faire les calculs nécessaires lorsqu’on est en train de creuser un trou de ver dans l’infrastrate, Kizzy, humaine extravertie et technicienne de génie, et son copain Jenks, un nain qui vit une histoire d’amour passionnée avec Lovelace, l’IA du bord. Va embarquer Rosemary, une jeune humaine de Mars qui fuit sa famille et s’est fait engager sur la base de références et de qualifications fausses. Avec elle, nous allons découvrir la vie à bord, les qualités et les défauts de chacun, mais aussi différentes planètes de la galaxie, la politique galactique, les différentes espèces et leurs rivalités, les enjeux économiques et les egos qui transcendent les espèces. Tout le roman de Becky Chambers est consacré à la différence apparente : l’autre n’est pas pareil donc il est inférieur, peu importe ses qualités intrinsèques ; cela vaut au niveau des individus comme à celui des espèces d’où le racisme ordinaire. Mais Rosemary, de par son éducation, va introduire dans le vaisseau (et par ricochet dans le jeu galactique) une composante nouvelle : la compréhension, l’intérêt pour l’autre et sa culture, ses motivations et ses sentiments. Et lorsqu’on se met à comprendre son interlocuteur, les problèmes peuvent se résoudre beaucoup plus facilement. Avec ses personnages plus ou moins sympathiques mais pour qui l’on ressent toujours une certaine empathie, son équipage dont Rosemary découvrira petit à petit qu’ils ont tous autant de squelettes dans les placards qu’elle, ses planètes aux cultures et aux sociétés parfois très étrangères - avec des descriptions dignes de Jack Vance, en particulier pour les plats et les boissons... -, sa politique galactique intrinsèquement jouée d’avance, ce roman foncièrement optimiste est un hymne à l’ouverture d’esprit, à l’intérêt pour son interlocuteur, au bon sens, à la bonne volonté et à l’intelligence, tout en évitant soigneusement l’écueil des bons sentiments dégoulinants à l’eau de rose. C’est un roman volontariste, plein d’humour - le passage sur l’horreur causée par le fait que Rosemary a mangé de la viande des mammifères élevés dans les ranchs de Mars au lieu de se contenter d’insectes comme tout le monde, vaut son pesant de grillons -, l’un de ces beaux romans de SF que l’on referme en s’étant non seulement bien évadé pendant quelques heures mais aussi en se sentant mieux, en ayant une foi renouvelée dans les capacités de l’humanité.
 
Jean-Luc Rivera - Actusf
Publié le 30 septembre 2016

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