Avec Chambers, nous partons dans les étoiles à la rechercher de nouvelles formes de vie pour le plaisir de la rencontre.

Apprendre, si par bonheur - Utopie radicale

Il est un livre qui, avec délicatesse, nous invite à expérimenter cet « autrement que savoir » entremêler à cette belle faculté « d'étrangéisation cognitive » : Apprendre, si par bonheur de Becky Chambers, publié en 2019. Son extrême contemporanéité a de quoi nous réjouir et dévoile sans aucun doute ce besoin, cette nécessité, de retrouver aujourd'hui dans la science-fiction une positivité qui n'a rien à voir avec le positivisme. Ce roman, qui décrit une expédition spatiale faisant partie « d'un vaste programme d'étude écologique des exoplanètes » financée par les citoyens dans un futur proche, est paradoxalement très réaliste : il y a ce qu'il faut de détails scientifiques, biologiques, mécaniques sur les méthodes non colonisatrices, non agressives, d'une mission d'exploration « par amour de l'exploration », venant contrebalancer le fait qu'on s'envole pour les étoiles vers quatre planètes lointaines avec leurs faunes et leurs flores aliennes respectives, Aecor, Mirabilis, Opéra et Votum.

Apprendre, si par bonheur est le contre-pied aux missions spatiales issues de la SF mais aussi aux missions réelles. Tout le roman développe cette attitude qui consiste à explorer avec soin et attention, avec désintéressement, simplement par curiosité, tout en laissant le caillou sur lequel on vient d'atterrir dans l'état dans lequel on l'a trouvé en arrivant. Nous sommes bien loin des rêves de colonisation, d'exploitation, d'extermination. La gratuité du geste mis en récit par Chambers est utopique, radicalement. Même son équipage, quatre astronautes aux compétences scientifiques complémentaires, est complexe mais bienveillant.

Le titre du roman est une citation du message enregistré par le secrétaire de l'ONU en 1977 sur la sonde Voyager : « Nous nous lançons dans l'univers animé d'intentions pacifiques et amicales - pour enseigner, si on nous le demande; pour apprendre, si par bonheur on nous en donne l'occasion. » La narratrice du roman, membre du petit équipage s'envolant vers ces planètes inconnues, s'interroge : « Comment penser aux étoiles quand les océans débordent ? Comment s'intéresser aux écosystèmes aliens quand la chaleur rend les villes inhabitables ? [...] Comment se préoccuper des autres planètes quand des drames se jouent sur celle où on est coincé, quand la santé et la sécurité ne sont plus assurées ? » Je pense que ces questions, légitimes et justes, sont adressées non seulement à toute la science-fiction, mais également à toutes les recherches scientifiques (en astrophysique comme en philosophie) dont les effets ne semblent pas (et bien entendu, faussement) directement mesurables, quantifiables. Pourquoi s'intéresser aux trous noirs, aux extraterrestres, à l'utopie ? Le roman de Chambers s'attelle à faire décoller des fusées écologiques et citoyennes depuis un monde en ruine, justement par souci pour le monde, la vie, le savoir. Par « impulsion à l'altérité ». Parce qu'il ne faut surtout pas renoncer à penser, parce qu'il faut continuer à s'étrangéiser pour le faire, il faut continuer à regarder loin, peut-être et surtout quand on goûte quotidiennement la catastrophe.

Avec Chambers, nous partons dans les étoiles à la rechercher de nouvelles formes de vie pour le plaisir de la rencontre.

Alice Carabédian, Utopie radicale, Seuil

Publié le 30 mars 2022

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