Cela commence bien, le nom du personnage principal de ce polar allemand, procureure à Hambourg est Chastity Riley : nous apprendrons vite qu'elle doit son nom anglo-saxon à un père américain. Ce n'est pas la moindre des contradictions de cette enquêtrice hors norme que l'on prend immédiatement en amitié ; est-ce parce qu'elle use et abuse des boissons alcoolisées et que contrairement à bon nombre de tough guys de notre connaissance, elle a vraiment la gueule de bois le lendemain matin ?
Ou bien encore parce qu'elle vient d'être placardisée par excès d'intégrité ? Mais c'est peut-être aussi parce qu'elle arrive avec bouteille de vin et autres victuailles pour interroger la victime d'un tabassage en règle qui se remet doucement à l'hôpital.
Madame la procureure est donc chargée de la protection des victimes et l'inconnu roué de coups va l'emmener sur des trafics de drogue qui gangrènent les bas-fonds de Hambourg… Ou d'ailleurs, partout où l'émigration est synonyme de misère et de violence. Chastity pourrait sombrer, elle pense sérieusement qu'elle est « une sorte de pestiférée [...] éjectée hors du monde » et que « Chez moi, tout est toujours rouillé dès le départ ». Mais une énergie vitale et un humour décapant la maintiennent à flot. Et puis, surtout, sa bande de potes, ses collègues Calabretta et le flic à la retraite Faller. Ses amis Rocco, Carla chez qui elle va manger, et enfin Klatsche, drôle de mec, drôle d'amour. Tout ce monde se croise au Blaue Nacht (nuit bleue). Tous marqués par la vie, tous traînant des manteaux de misère, des lambeaux de passé douloureux. Mais chacun maintient les autres en vie, la chaleur de leurs nuits de bringue compensant la noirceur de leurs existences.
L'écriture est à l'aune des humeurs du personnage. La plume de Simone Buchholz peut se faire mélancolique lors des déambulations de Chastity dans les rues sombres de Hambourg ou dans son esprit brumeux empli de doute et d'amertume. Puis, très vite le rythme s'accélère, vif, nerveux, les dialogues fusent, la dérision est à fleur de mot, l'enthousiasme à Madame la procureure, et ses coups de gueule, balayent d'une phrase les apitoiements et les moments de dépression.
Enfin, subtile astuce de narration - et grande réussite de ce roman - nous découvrons les personnages en de courts chapitres qui cadencent l'enquête, chacun racontant son passé et leur rencontre. Et le lecteur devient ainsi un confident.
Nuit Bleue est le premier roman de la collection Fusion, un excellent choix pour donner la couleur au noir qui fait sa réapparition aux éditions de L’Atalante.

Corinne Naidet