Dans un genre littéraire où l’innovation formelle ou technique demeure rare, elle n’hésite pas à proposer une approche littéraire assez radicalement différente de celles dominant actuellement le champ.

Nuit bleue - Charybde27
Article Original

Chastity Riley est procureur au parquet de Hambourg. Tombée en disgrâce du fait du dénouement disons « gênant » d’une affaire précédente (dans laquelle se trouvait impliqué son supérieur), elle est désormais affectée exclusivement au suivi des victimes de crimes et délits. Justement, un homme anonyme et taciturne vient d’être amené à l’hôpital, après un passage à tabac allant très loin dans les règles de l’art. Déployant sa personnalité très particulière, elle parvient à nouer une forme de relation avec ce dur-à-cuire qui ne semble pourtant pas vouloir s’en laisser conter. Pendant ce temps, son ami l’ex-inspecteur Faller, tout fraîchement retraité, semble vouloir secrètement reprendre ses anciennes investigations sur le principal criminel de Hambourg, désormais réputé rangé des voitures et au-dessus de tout soupçon, parfaitement inséré dans la haute société de la Ville-État. Lorsqu’en supplément une puissante vague de crystal-meth venue des confins de la Tchéquie semble devoir déferler prochainement sur la ville, Chas va mobiliser l’ensemble de ses ressources si peu orthodoxes pour faire face…

Il faut absolument rendre grâce à la nouvelle collection Fusion, dédiée au polar, des éditions de L’Atalante, pour nous avoir offert la découverte de cette enquêtrice judiciaire réellement pas comme les autres. Dans un contexte allemand qui nous est souvent peu familier, et avec toutes les spécificités de la grande ville portuaire qu’est Hambourg, Simone Buchholz a créé en 2008 un personnage largement hors normes – il faut peut-être bien remonter jusqu’à la Sharon McCone de Marcia Muller, apparue en 1977, pour approcher un tel phénomène -, fille d’une secrétaire allemande et d’un officier américain, investigatrice ayant un gosier nettement en pente et une vie sentimentale oscillant entre le complexe et l’agité, se sentant absolument gauche vis-à-vis de la société et de ses convenances, mais extraordinairement inventive pour en circonvenir les écueils. Nuit bleue, publié en 2016, et traduit en 2021 en français (fort solidement malgré quelques menues maladresses à propos de football) par Claudine Layre, est le sixième épisode (on pourra à bon droit se demander pourquoi l’éditeur français, à la main ici si heureuse, a néanmoins choisi de nous propulser directement au-delà des cinq premiers) de cette série au succès à mon sens très mérité.

Surtout, l’écriture de Simone Buchcholz, son utilisation redoutable du récit à la première personne, des idiosyncrasies propres à chaque personnage, des tics et des sous-entendus, comme de techniques presque expérimentales pour conduire, par exemple, les flashbacks, impressionne et réjouit : dans un genre littéraire où l’innovation formelle ou technique demeure rare (les émules de David Peace y semblent toujours minoritaires aujourd’hui), elle n’hésite pas à proposer une approche littéraire assez radicalement différente de celles dominant actuellement le champ.

Hugues

Publié le 10 mai 2022

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