Lors d’une conférence aux Imaginales de cette année, Edouard Kloczko, grand tolkiéniste, et linguiste spécialisé dans l’elfique (oui, pour de vrai) affirmait péremptoirement que depuis Le Seigneur des anneaux, rien d’intéressant ne s’était fait en fantasy. Les habitués, connaissant le bonhomme, savent qu’il faut laisser courir et passer à autre chose. Pourtant, un des autres invités, en quelque sorte un petit jeune du milieu, entendant ces mots, sursaute et ne peux faire autrement que de répondre à peu près ainsi : “Mais voyons, Tolkien, c’est après-guerre. C’est-à-dire à une époque marquée par des conflits violents et récents. Une époque où tout était vu de façon binaire, en mode bien versus mal. Non seulement, beaucoup de choses ont été faites depuis, mais surtout, il n’est plus possible, aujourd’hui, d’écrire de cette façon, le monde est devenu beaucoup plus complexe.”  Le petit jeune, c’est Régis Goddyn, environ 40 ans, jusque là un parfait inconnu et qui signe le premier tome d’une longue saga de fantasy. Une saga prévue en sept tomes, par un auteur français, sorti de nulle part, ce qui s’avère assez audacieux de la part de l’éditeur.  (...) Je ne voudrais pas m’étaler sur l’intrigue, puisque justement, une des réussite de ce premier tome, c’est de parvenir à faire rentrer le lecteur dans celle-ci et dans l’univers, en égrainant subtilement les informations, petit à petit, et cela de façon cohérente et fine. Surtout, l’on pourra consulter les critiques de confrères qui donnent quelques détails à ce sujet (cf. cette revue de presse sur le site de L’Atalante).  Ce qui m’a frappé, et qui je crois fait toute la particularité de ce premier roman, et du projet, c’est son inscription dans un genre codé et assez figé. On a d’un côté des éléments d’un classicisme absolu, à l’instar du titre, qui use de trois éléments qu’on retrouvera dans bon nombre d’autres titres de fantasy (sang+titre de royauté ou autre+chiffre symbolique). Il s’agit ensuite d’intrigues politiques entre divers royaumes, ce qui ne va pas révolutionner le genre.  Pourtant, c’est par l’usage de petites choses, de légers décalages, de choix qui pourraient sembler austères, de personnages avant tout humains plutôt que parfaitement héroïques, l’absence de créature, une magie presque absente, et quelques surprises, que l’auteur innove intelligemment. Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit, les évènements qui mènent au dernier chapitre, intitulé “les crocs du pigeon” sont absolument formidables, totalement inattendus, et m’ont valu quelques fous rires incontrôlés. Et cependant tout reste extrêmement bien vu. D’une autre façon, s’éloignant de pas mal de stéréotypes qui voudraient que fantasy égale aventure trépidante, l’on trouve de longs passages lent. Mais l’auteur l’expliquait lui-même dernièrement à quelques lecteurs : “Il y a des moments où le voyage est long et ennuyeux pour les personnages, alors tu te dois de le faire ressentir au lecteur. C’est long dans le récit, ça doit l’être aussi dans le livre”. Régis Goddyn n’hésite donc pas à faire trainer l’action. Mais toujours de façon extrêmement subtile et bien écrite, accrochant le lecteur, quoi qu’il arrive. La couverture avec son noir et blanc sec, plutôt que la débauche souvent proche du kitsch de couleurs, habituelle dans les genres de l’imaginaire,  détonne d’ailleurs quelque peu. Or, éditorialement, ce choix radical – celui de l’auteur lui-même – traduit bien l’esthétique générale : une œuvre qui s’inscrit dans la continuité, de forme apparemment très semblable à tout ce qui s’est déjà fait et se fait encore, mais qui se démarque par de subtils pas à côté. Une affaire à suivre, donc. Colville Petipont    

Goddyn - Le Sang des 7 rois - Gouffre au sucre

Lors d’une conférence aux Imaginales de cette année, Edouard Kloczko, grand tolkiéniste, et linguiste spécialisé dans l’elfique (oui, pour de vrai) affirmait péremptoirement que depuis Le Seigneur des anneaux, rien d’intéressant ne s’était fait en fantasy. Les habitués, connaissant le bonhomme, savent qu’il faut laisser courir et passer à autre chose.

Pourtant, un des autres invités, en quelque sorte un petit jeune du milieu, entendant ces mots, sursaute et ne peux faire autrement que de répondre à peu près ainsi : “Mais voyons, Tolkien, c’est après-guerre. C’est-à-dire à une époque marquée par des conflits violents et récents. Une époque où tout était vu de façon binaire, en mode bien versus mal. Non seulement, beaucoup de choses ont été faites depuis, mais surtout, il n’est plus possible, aujourd’hui, d’écrire de cette façon, le monde est devenu beaucoup plus complexe.” 

Le petit jeune, c’est Régis Goddyn, environ 40 ans, jusque là un parfait inconnu et qui signe le premier tome d’une longue saga de fantasy. Une saga prévue en sept tomes, par un auteur français, sorti de nulle part, ce qui s’avère assez audacieux de la part de l’éditeur. 

(...)

Je ne voudrais pas m’étaler sur l’intrigue, puisque justement, une des réussite de ce premier tome, c’est de parvenir à faire rentrer le lecteur dans celle-ci et dans l’univers, en égrainant subtilement les informations, petit à petit, et cela de façon cohérente et fine. Surtout, l’on pourra consulter les critiques de confrères qui donnent quelques détails à ce sujet (cf. cette revue de presse sur le site de L’Atalante). 

Ce qui m’a frappé, et qui je crois fait toute la particularité de ce premier roman, et du projet, c’est son inscription dans un genre codé et assez figé. On a d’un côté des éléments d’un classicisme absolu, à l’instar du titre, qui use de trois éléments qu’on retrouvera dans bon nombre d’autres titres de fantasy (sang+titre de royauté ou autre+chiffre symbolique). Il s’agit ensuite d’intrigues politiques entre divers royaumes, ce qui ne va pas révolutionner le genre. 

Pourtant, c’est par l’usage de petites choses, de légers décalages, de choix qui pourraient sembler austères, de personnages avant tout humains plutôt que parfaitement héroïques, l’absence de créature, une magie presque absente, et quelques surprises, que l’auteur innove intelligemment. Sans vouloir dévoiler quoi que ce soit, les évènements qui mènent au dernier chapitre, intitulé “les crocs du pigeon” sont absolument formidables, totalement inattendus, et m’ont valu quelques fous rires incontrôlés. Et cependant tout reste extrêmement bien vu.

D’une autre façon, s’éloignant de pas mal de stéréotypes qui voudraient que fantasy égale aventure trépidante, l’on trouve de longs passages lent. Mais l’auteur l’expliquait lui-même dernièrement à quelques lecteurs : “Il y a des moments où le voyage est long et ennuyeux pour les personnages, alors tu te dois de le faire ressentir au lecteur. C’est long dans le récit, ça doit l’être aussi dans le livre”. Régis Goddyn n’hésite donc pas à faire trainer l’action. Mais toujours de façon extrêmement subtile et bien écrite, accrochant le lecteur, quoi qu’il arrive.

La couverture avec son noir et blanc sec, plutôt que la débauche souvent proche du kitsch de couleurs, habituelle dans les genres de l’imaginaire,  détonne d’ailleurs quelque peu. Or, éditorialement, ce choix radical – celui de l’auteur lui-même – traduit bien l’esthétique générale : une œuvre qui s’inscrit dans la continuité, de forme apparemment très semblable à tout ce qui s’est déjà fait et se fait encore, mais qui se démarque par de subtils pas à côté. Une affaire à suivre, donc.

 

 

Publié le 19 juin 2013

à propos de la même œuvre