Méduse est un roman surprenant aux lectures multiples, oscillant de l’allégorie mythologique dans un conte cruel à un récit d’émancipation brutal et pourtant auréolé d’une prose saisissante.

Méduse - Les critiques de Yuyine
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Baisser la tête sous le miroir cruel des autres

Méduse est un roman glaçant, un conte cruel gothique dérangeant, qui dresse le portrait d’une jeune fille qui fut toujours définie comme monstrueuse. Rejetée, poussée à baisser la tête comme le regard, isolée et maltraitée, Méduse est une jeune fille dont le reste de l’humanité renvoie l’image d’une créature innommable à cause des difformités de ses yeux et qui refuse son propre reflet. Martine Desjardins tisse dans un style littéraire riche et travaillé l’histoire tragique (mais pas que) de celle qu’on destine à l’horreur depuis toujours, réfléchissant au poids du regard des autres sur notre propre définition de nous-mêmes. Elle explore avec brio, dans cette allégorie mythologique de la monstruosité doublement victime mais néanmoins dangereuse, la violence de la société qui cherche à imposer ses normes. Il revient alors à son héroïne de parvenir à s’émanciper de ce carcan dans lequel on l’enferme depuis toujours, à apprendre à se définir elle-même et, peut-être s’accepter pleinement femme au-delà du monstre. Difficile parfois par sa noirceur, ce roman est également perturbant, faisant flirter sans cesse les questions de mort et de fantasmes inavoués. Il s’agit alors de se laisser porter, d’accepter la désorientation que nous insuffle le récit pour mieux s’enivrer de ces multiples niveaux de lecture.

Méduse multiple, Méduse fascinante

La lecture de ce roman va bien au-delà de cet aspect conte cruel en étant aussi multiple et fascinante que les méduses. Martines Desjardins déploie les trésors de la langue pour insuffler de nombreux messages au sein de ce roman. Allégorie mythologique évidente par de nombreux détails qui parcheminent son histoire et participent à tisser son destin, récit d’apprentissage cruel et dérangeant où douleur et sensualité ne sont jamais loin, émancipation féminine et sexuelle face à un patriarcat en recherche de soumission et de possession, Méduse est un récit intense qui contient entre ses quelques 200 pages une foison de références. On ne sait jamais tout à fait vers où l’autrice nous emporte mais il nous est rapidement impossible de relâcher notre regard de ses mots. Elle nous plonge tantôt dans une ambiance terriblement dérangeante mais néanmoins surprenante et nous déroute régulièrement dans un récit décidément original et envoûtant. Méduse interpelle et redéfinit la notion de monstruosité avec beaucoup de justesse. Méduse nous enrage aussi face à l’injustice de tant de rejets, face à l’horreur véritablement monstrueuse qu’elle subit. Méduse fascine et appelle à une entière acceptation de soi, jusque dans notre part d’ombre inavouable. Enfin, Méduse convainc par sa prose étourdissante dont notre âme ne ressort pas tout à fait indemne.

En bref, Méduse est un roman surprenant aux lectures multiples, oscillant de l’allégorie mythologique dans un conte cruel à un récit d’émancipation brutal et pourtant auréolé d’une prose saisissante. C’est aussi dérangeant et fascinant que ne l’est sa couverture de Marcela Bolívar. Mais c’est surtout un récit qui laisse des traces à la lecture, par l’intensité cruelle de son récit tout comme par la puissance des messages féministes qu’il propose. Malgré ses failles, malgré son côté dérangeant, ce roman ne vous laissera pas de marbre...

Publié le 16 octobre 2023

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