Texte court mais texte puissant, Méduse détonne dans le paysage éditorial féru de mythologie en ce moment.

Méduse - Les Blablas de Tachan
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Revisite entêtante et déstabilisante du mythe de Méduse, le texte de Martine Desjardins est à l’image de sa couverture étrange, envoûtant et surprenant. Une expérience à faire !

Une fois n’est pas coutume, je salue le superbe travail de Marcela Bolivar sur la couverture et les rabats intérieur qui participe à cette expérience unique de lecture que fut le Méduse de Martine Desjardins. Cette femme ou statue, on ne sait, cachée derrière la végétation où eau et larme se mélangent dans un accord flou, doux et terrifiant à la fois, représente terriblement bien la sensation que je vais avoir tout au long de cette lecture.

Récit féministe rendant hommage aux romans d’aventure et d’érotisme de la fin du XVIIIe, l’autrice y fait preuve d’une plume littéralement envoûtante pour nous conduire dans cet univers quasiment intemporel où réel et fantasme se mélangent dans un fantastique de la plus belle eau. Il y a du Sade par moment dans ce récit (pas la partie la plus sulfureuse et scabreuse), il y a du Paul et Virginie également dans les aventures vécues par l’héroïne, et pour une touche plus moderne, un petit air du Bal des folles pour bien nous glacer. Pourtant, l’autrice y fait toujours preuve de prudence, de sensibilité et de mesure.

Il en faut pour nous conter, et c’est le mot, le destin chahuté de cette jeune fille qu’on prénommera Méduse à cause de ses yeux si singuliers, à qui elle donnera mille noms plus effroyables les uns que les autres au cours de l’histoire, redéfinissant ainsi la notion de monstruosité aux yeux même dudit monstre. Méduse, c’est cette femme, sans cesse cachée, rejetée, ostracisée à cause de sa particularité : son regard qui gêne et suscite l’effroi. Pourquoi ? On le découvrira avec panache dans les ultimes pages et tout prendra sens. Mais avant cela, il faut se laisser conduire dans les méandres de sa vie, reflet de la nôtre et de ses diktats sur la beauté, après que son père ne l’ait abandonnée dans une drôle de maison qui tient lieu d’orphelinat très spécial, puisque sa maîtresse adopte des jeunes filles porteuses d’une difformité ou particularité physique qui les met à l’écart de la société.

On le sent bien, le récit sera dur. Comme dans le Bal des folles, l’autrice nous confronte à la misère humaine mais aussi à la différence et à la façon dont on y réagit. Il y a cette institution où des choses bien étranges se déroulent sous couvert de parrainage. Il y a également le monde extérieur tout aussi cruel par ses mots et ses actes. L’autrice utilise un nombre pharamineux d’images, de métaphores, de litotes même, mais on comprend combien ces filles, ces femmes souffrent aussi bien sous le regard toxique et violent d’autres femmes que sous celui toujours méprisant et dominateur des hommes. La plume est belle, l’enrobage envoûtant avec sa touche de mythologie revisitée de manière fantastique, mais le message n’en reste pas dur et violent. Nécessaire.

J‘ai beaucoup aimé me laisser emporter par ce récit étrange, qui n’a pas vraiment de rythme pendant longtemps, malgré ses chapitres ultra courts : 3-4 pages. J’ai aimé me laisser bercer par cette ambiance différente de bien des romans que j’ai pu lire. J’ai aimé tenter de lire entre les lignes pour comprendre ce qui se jouait vraiment derrière ce décor d’inspiration mythologique où l’autrice reprenait bien des codes et éléments de celle-ci. Il y a quelque chose de fascinant à se laisser ainsi aller au fil de l’eau, à suivre cette pauvre Méduse et les drames qu’elle connaît, dans ce qui semble être un inéluctable destin tragique.

Parlons-en justement de Méduse, son personnage m’a interpellée d’entrée de jeu. Il est extrêmement bien écrit, très fin, très psychologique, avec un regard porté sur le corps, les apparences et le regard de l’autre saisissant. Les hommes tiennent une place toute particulière dans sa vie et on ne peut que le déplorer, l’autrice faisant de celle-ci le chantre d’une révolte silencieuse contre ce que leurs regards et leurs normes nous imposent à nous les femmes. Alors assister peu à peu à la métamorphose de la petite Méduse effrayée à la Méduse adulte, plus sûre d’elle, qui se connaît et ose relever la tête, c’était jouissif !

Texte court mais texte puissant, Méduse détonne dans le paysage éditorial féru de mythologie en ce moment. C’est un texte qui frappe et interpelle pour peu que l’étrange ambiance quasi gothique des débuts n’ait pas perdu le lecteur. Il faut savoir se laisser porter par la plume sombre et envoûtante de Martine Desjardins, la surprise est au rendez-vous, l’émotion et la réflexion aussi.

 

Publié le 18 septembre 2023

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