Ce livre semblant faire l’unanimité auprès des blogopotes et des divers sites, j’ai eu envie de le découvrir. Les deux auteurs Marina et Sergueï Diatchenko ont publié plus d’une trentaine de romans en Ukraine, pourtant on les connait très peu en France. Ils ont notamment obtenu le prix de meilleurs écrivains du fantastique européen lors de l’Eurocon 2005. Vita Nostra date de 2007 mais n’a été publiée en France qu’en octobre 2019. C’est le premier tome d’une série appelée « Les Métamorphoses ». Cependant, chaque tome peut être lu indépendamment car ils ont juste leur thème de la métamorphose en commun. Le suivant s’intitule Numérique, ou brevis est et doit paraître cette année, il aura pour contexte l’univers virtuel des jeux vidéo. Le troisième Migrant, ou brevi finietur s’intéresse à l’exploration spatiale.
Le début du roman est simple et on y entre facilement. Alexandra Samokhina surnommée Sacha part en vacances avec sa mère dans une station balnéaire en Crimée. Elle adore la mer et attend ces vacances depuis longtemps, ce sera pour elle un bol d’air dans sa vie et ses études. Les premiers jours sont idylliques jusqu’à ce que sa rencontre avec un homme étrange portant des lunettes noires viennent troubler la quiétude des vacances. Sans qu’elle sache vraiment pourquoi, cet homme terrifie Sacha. Cette rencontre va complètement bouleverser la vie de la jeune femme. Il commence par lui confier une étrange mission que Sacha ne peut refuser, et petit à petit obtient ce qu’il veut de Sacha en jouant sur ses peurs et la force ainsi à aller faire ses études supérieures à l’institut des technologies spéciales. Sacha ignore tout de cette école située dans une toute petite ville inconnue, Torpa. La mort dans l’âme, elle est contrainte d’aller y étudier et d’y vivre en internat au sein d’un univers totalement inconnu. Elle va vite découvrir que les autres étudiants de première année se demandent tout comme elle ce qu’ils font là, les autres étudiants plus âgés se comportant de manière étrange. Sacha se pose alors de nombreuses questions: que fait elle là? Qu’est ce cette spécialité? Que lui arrivera t’elle si elle quitte l’institut ou qu’elle échoue? Qui est Farit Kojennikov, le fameux homme en noir ? Et quel est réellement le contenu de ces cours?
Vita Nostra est un roman qui déroute, fait se poser de nombreuses questions dont les réponses viendront tardivement. En effet, tout comme les différents personnages, on s’interroge, on veut des explications qu’on ne peut pas tout de suite avoir. Il faut vivre l’histoire pour la comprendre, lire le roman et se laisser porter par lui, par son rythme, son histoire, ses personnages et peu à peu tout s’éclaire. C’est véritablement un livre à part, une œuvre mêlant plusieurs thématiques qui parleront plus ou moins différemment à chaque lecteur. C’est également un roman d’initiation mais pas seulement, mais c’est surtout un très très beau roman qui peu à peu séduit le lecteur.
Un des autres éléments marquants de ce roman est la tension qui est présente tout au long du récit. Dès le début, on comprend que Sacha subit tout ce qui lui arrive, elle est obligée de quitter la sûreté de sa vie avec sa mère pour aller dans un endroit éloigné, contrainte car elle craint pour ses proches. Elle éprouve une émotion viscérale et permanente entretenue par Farit Kojennikov depuis leur rencontre au bord de mer. Cependant, le danger vient aussi des professeurs de l’institut qui se plaisent à entretenir un climat de stress continu pour les élèves sans jamais ne rien leur expliquer de ce qu’ils étudient réellement, ni feront plus tard.
Le lecteur ressent cette tension et tremble pour les personnages tout en se posant les mêmes questions qu’eux. On ressent le stress des élèves, on se demande quel est le fin mot de l’histoire. La lecture de Vita Nostra est complexe et stressante. Pourtant, en même temps, on est profondément attaché à cette histoire, à cette narration, à tout le roman au point de ne pas le lâcher. Le roman est un véritable paradoxe qui tout en fascinant et ensorcelant complètement le lecteur, le laisse dans une espèce de brume de questionnements. On comprend ainsi ce que disent les professeurs de Sacha: il faut vivre les choses pour les comprendre, et ainsi il faut lire ce roman pour le comprendre.
Vita Nostra est un roman très dense et ainsi difficile à classer. Il y a bien entendu un aspect important de roman initiatique qui rappelle Harry Potter ou Les Magiciens de Lev Grossman. On peut également y voir une métaphore des années d’études supérieures qui peuvent s’avérer difficile, on s’éloigne de tout ce qui faisait notre vie pour aller vers l’inconnu. C’est aussi à ce moment là que l’on devient adulte (ou que l’on essaie) et cela est synonyme de changements. Les métamorphoses que subit Sacha en sont le symbole. Les changements de Sacha l’éloignent de sa famille, de sa mère qui a du mal à la voir partir si brutalement.
La devise de l’institut est aussi porteuse de sens: Vita nostra brevis est, brevi finietur…qui signifie Notre vie est brève, elle finira bientôt… Puisque la vie est si courte, il faut la vivre pleinement, en profiter, affronter ses peurs. On ne peut expliquer vraiment à un enfant ce qu’est la vie, de quoi elle sera faite, il faut la vivre, l’affronter, la comprendre ou pas. Une des autres thématiques du roman est le pouvoir de la création, des récits et des mots. Le langage et son impact sont au centre du livre. Des thématiques nombreuses sont présentes dans ce roman et elles parleront différemment à chaque lecteur.
Vita Nostra est ainsi une lecture déroutante et complexe mais tellement passionnante. C’est un roman d’une richesse extraordinaire qui au travers d’une histoire qui peut paraître simple, se densifie peu à peu. Chaque lecteur y trouvera un sens différent, sera ému par quelque chose de singulier. C’est un roman remarquable, brillant, paradoxal, très bien écrit. N’attendez plus, lisez le !
Au pays des cave trolls