Vita Nostra est un ouvrage face auquel il me semble impossible de rester indifférent. Je n'ai dans un premier temps pas su déterminer pourquoi je l'appréciais. Sans doute parce que l'abord en est tout à la fois simple et étrange. Les auteurs jouent avec la curiosité du lecteur comme on joue avec un chat : il faut plusieurs centaines de pages pour commencer à comprendre de quoi il retourne. Les deux cents dernières révèlent le déroulé d'un propos complexe et subtil, imbriqué au coeur d'une trame qui sait pourtant rester d'une simplicité déroutante jusqu'à son terme. Et c'est dans ce contraste, à la fois saisissant et brillant, que réside tout le génie de l'exercice.
J'insiste : c'est brillant. Choisir de dérouler simplement l'histoire de Sacha, c'est juxtaposer sa façon d'aborder les études étranges dans lesquelles elle se lance avec celle qu'a le lecteur d'aborder le récit. La construction en est mise au service du propos qu'il porte, s'en fait l'illustration : rien n'est aussi simple que ce que l'on perçoit d'abord, tu comprendras plus tard, quand le temps sera venu. Une litanie sans cesse répétée à Sacha, qui a pourtant soif de comprendre. Protagoniste et lecteur partagent la lente construction d'une tension et son dénouement, qui tombe comme un soulagement. Aucun élément n'est laissé au hasard et tous sont autant de pièces d'un puzzle qui ne finissent de s'assembler qu'au point final.
Pour ce qui est du propos lui-même, j'ai pu lire ici et là que les auteurs s'étaient inspirés des Métamorphoses d'Ovide. Quand bien même ce serait le cas, ces deux oeuvres n'ont - pour l'instant - de commun que l'idée même et la mise en scène de métamorphoses (encore qu'Ovide entre moins dans le détail de ces dernières que dans celui des stratagèmes dont Zeus use pour violer ses victimes).
L'intérêt à mon sens est ailleurs : difficile de ne pas voir en Vita Nostra une illustration de l'allégorie de la caverne de Platon. Quant à la connaissance à laquelle accède Sacha, monde d'idées, de concepts et d'informations purs, elle est restituée dans ce que les auteurs identifient comme le pouvoir premier et fondamental, celui des origines : la Parole. À partir de quoi les quelques références au Dieu créateur de la Genèse, dont le pouvoir se manifesta avant tout par la Parole, s'imposent telle une évidence. "Au commencement était..."
Aussi troublant que réussi, Vita Nostra eut pu se suffire à lui-même tant son dénouement clôt le récit -ou du moins ce premier roman - à la perfection.
Publié le 14 mai 2020