Si vous avez envie de découvrir un roman qui vous bouscule dans vos habitudes narratives, Vita Nostra, de Sergey et Marina Dyachenko, auteurs ukrainiens déjà traduits en 2012 avec The Scar, un ouvrage dont j’étais persuadé d’avoir livré la chronique à l’époque… Comme quoi ! Il est largement temps de se rattraper aujourd’hui, avec Vita Nostra donc, roman dont le titre est inspiré du Gaudeamus étudiant.
Il s’agit encore de fantasy, évidemment, mais d’une fantasy peu ordinaire, rien qu’à la façon dont elle se joue de nos repères. On comprend vite que le roman ait pu inspirer Lev Grossman pour Les Magiciens, sauf que, une fois terminée notre lecture, on se dit que Vita Nostra est bien plus abouti finalement, à tous les niveaux. Le mélange entre réflexions sur la philosophie, la science, le temps, la magie bien sûr, ne se révèle jamais pesant - bien que souvent complexe - car les auteurs parviennent avant tout à nous raconter une histoire, avant de vouloir nous faire passer un message.
Et pour se faire, il faut bien sûr compter sur de solides personnages, à l’image de Sasha, Oleg, ou évidemment la figure à la fois mystérieuse et inquiétante incarnée par Farit Kozhennikov. Nos protagonistes sont plein de vie, débordants de toutes sortes d’émotions et d’aspirations, sans pour autant sonner faux, à force de voir l’auteur vouloir trop en faire - l’un des défauts de Grossman avec le temps. La subtilité est l’un des maîtres mots à retenir ici.
Ce qui donne l’impression à la fois étrange et réjouissant de ne pouvoir jamais définir tout à fait la nature même de ce roman : c’est un récit d’apprentissage, mais pas vraiment. Il peut rappeler Harry Potter à travers l’usage de certains clichés des écoles de magie, mais on est loin de s’arrêter à cela. D’ailleurs, est-il question de magie, à proprement parler ? Ne s’agit-il pas avant tout d’une métaphore de l’âge adulte et de ses épreuves, une fois quitté le confort du cocon familial ? Une chose est sûre toutefois : les interprétations ne manquent pas, à ce sujet comme à la hauteur de l’ensemble du roman, que l’on pourrait également rattacher au courant du réalisme magique.
Mais, à l’heure de l’immédiateté, il n’est pas certain que Vita Nostra se révèle gratifiant pour tous les lecteurs : comme Sasha, il faut à un moment ou un autre en cours de route se résigner à accepter l’indicible en attendant que les choses deviennent plus claires… ce qui n’est pas forcément le cas, même une fois le livre refermé.
Petite précision : je ne lis pas le russe, mais cette traduction, assurée par Julia Meitov Hersey, m’a paru tout à fait pertinente, et il s’en dégage d’ailleurs une voix puissante, et là aussi, singulière. Une traduction bienvenue et d’ores et déjà à même de replacer les auteurs parmi les grandes figures à suivre du moment.
Gillossen