Ligny - Exodes - Les Vagabonds du Rêve Blog
Dans un futur proche, bien trop
proche, l’Humanité survit tant bien que mal au sein d’un monde en pleine
déliquescence. Les guerres et les aléas d’un climat détraqué ont réduit
les zones habitables comme peau de chagrin et, en dehors des quelques
fortunés enclavés sous des dômes climatisés, l’existence sur Terre est
devenue une lutte permanente. Une lutte avec pour seul horizon une
échappatoire temporaire à un environnement de plus en plus
inhospitalier, un sursis avant une extinction que tous devinent
inéluctable.
Exodes nous offre le point de vue de plusieurs de ces résistants
du quotidien qui, chacun à sa manière et sans jamais vraiment se
l’avouer, nourrit encore l’espoir d’un monde meilleur.
Il y a le scientifique Pradeesh qui a la chance de vivre avec sa femme
et sa fille sous le dôme de Davos et d’avoir un travail qui le
passionne, même si ces recherches en biologie génétique ne visent à
profiter qu’à une minorité de nantis. Il y a Olaf, le marin norvégien,
qui va entamer une véritable odyssée à la recherche d’une terre promise
exempte des hommes et de leur cruauté. Il y a l’Italienne Paula qui
brave tous les dangers avec ses deux fils en quête d’un médecin pour
soigner son cadet. Il y a Mélanie qui a créé un refuge pour animaux et
s’enorgueillit de son petit îlot d’harmonie au milieu du chaos. Il y a
Mercedes, la fervente catholique espagnole, qui fait son possible pour
aider son prochain et rêve de l’arrivée imminente des anges pour le
salut de l’Humanité. Il y a enfin Fernando qui fuit une mère plus
étouffante encore que la météo andalouse et qui compte sur son endurance
et sa débrouillardise pour trouver son bonheur plus au nord.
Et tout autour, il y a les bandes de brigands armés, les Boutefeux
drogués et pyromanes, les Mangemorts qui ont abandonné leur humanité,
les réflexes territoriaux des communautés aux abois et l’égoïsme des
rares privilégiés parvenus à préserver un minimum de civilisation.
C’est un roman dense et intense que nous livre ici Jean-Marc Ligny.
Reprenant les thèses des plus pessimistes climatologues et
scientifiques, il spécule un cruel corollaire de notre indécision
actuelle. Et pour être certain que le message passe bien, l’auteur ne
fait pas dans la demi-mesure : non seulement nous allons tous y passer
mais notre souffrance sera atroce. De ce point de vue son roman est une
incontestable réussite.
Que vous soyez sceptiques au sujet du changement climatique ou tout
simplement fatigués de l’entendre répété à longueur de journaux
télévisés, Exodes vous offrira une perspective qui vous fera au
mieux réfléchir, au pire, froid dans le dos. Les premiers romans
prophétisant une apocalypse nucléaire n’ont pas dû avoir beaucoup plus
d’effet sur le lecteur à l’époque de l’escalade à l’armement nucléaire
entre U.S.A. et U.R.S.S.
Jean-Marc Ligny parvient cependant à éviter le piège du prosélytisme,
ayant déjà fort à faire à bâtir son livre-univers. Seule la
bibliographie qu’il donne à la fin indique avec quel sérieux il s’est
impliqué dans la fabrication de ce futur déchu afin de le rendre le plus
pertinent possible. Même la forme adoptée participe de cette volonté
pour l’auteur de s’effacer devant son histoire pour lui donner plus
d’impact : la narration au présent, sèche et sans trop de fioritures (le
récit n’échappe cependant pas à certaines envolées lyriques pas
toujours opportunes), met le lecteur dans le bain sans recourir à un
pathos contreproductif ; la multiplication des protagonistes nous donne
un panorama complet de la catastrophe et des différentes façons d’y
faire face, toutes plus futiles les unes que les autres.
La trame n’est pas en reste : entre les tribulations héroïques de uns et
les tranches de vie des autres, un large éventail de situations et de
comportements est couvert sans pour autant que l’histoire ne s’éparpille
grâce à un habile jeu de chassé-croisé des lignes narratives. Malgré sa
taille conséquente, Exodes ne s’enlise ainsi à aucun moment et ce sans
avoir recours à des astuces du genre cliffhanger qui le dépouilleraient
de son côté compte rendu caméra au poing.
Un roman hautement recommandable, donc. Pas l’un de ceux qui vous
éblouira par ses concepts scientifiques novateurs et encore moins qui
vous donnera la pêche en fin de lecture, mais qui vous incitera à
méditer sur l’inquiétante plausibilité de cette fin du monde et
peut-être reconsidérer certaines de vos certitudes. Au-delà du message
qu’il souhaite faire passer, Jean-Marc Ligny parvient à faire vivre son
univers et ses personnages avec maestria et à nous livrer un roman
sombre et puissant qui reste immanquablement gravé en mémoire.
Michaël F.
Les Vagabonds du Rêve Blog
Publié le 4 novembre 2013