La fibre anthropologue de Le Guin est nettement perceptible dans le traitement de cette société antique. Non seulement, elle maîtrise la place de la femme, la religion, les liens et traités entre tribus/villes, mais, elle insuffle une véracité remarquable et très visuelle. Cet aspect « sciences sociales », la nature même de cette fantasy autre, le rythme pas des plus soutenus, pourraient toutefois rebuter des amateurs de magies chatoyantes qui recherchent un roman à base historique ET plein d’action.

Le Guin - Lavinia - Albdoblog
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Lavinia – fille du roi des Latins avant l’illustre Rome antique – est «destinée» à devenir l’épouse d’Enée qui fut l’objet d’un célèbre (et incontournable) poème épique : l’Énéide, de Virgile. Or, dans cette œuvre, le poète ne la cite qu’une fois, jamais il ne lui donne la parole, jamais il ne lui prête la moindre action phare. C’est tout juste si le lecteur, au détour d’une ligne, prend connaissance de son existence et de son futur rôle. Elle est en fait une simple figurante.
  
Dans le roman d’Ursula Le Guin, Lavinia prend bien plus de consistance. L’auteur utilise une astucieux procédé pour écrire son roman, et l’attacher à l’univers de la Fantasy. C’est en effet, Virgile  lui-même qui va insuffler le premier souffle en couchant son nom sur le papier et entamer une relation « spectrale » avec la jeune femme.  Et Lavinia va alors prendre son destin en main.Initialement, Lavinia, fille de Latinus (roi des Latins) est fiancée à Turnus – parent de sa mère avec laquelle elle entretient une relation distante et teintée d’amertume.
L’arrivée d’Enée l’apatride bouleverse ces projets de mariage.
 
Virgile, au crépuscule de sa vie – qui contera l’épopée de son époux des siècles plus tard – apparaît d’une manière spectrale dans la vie de Lavinia et va influer sensiblement sur sa destinée. Le poète se pose en trait d’union entre la passé et le futur, mais également entre le roman et le poème épique. Il se fait à la fois prophète et confident, provoquant sans doute l’avènement de Rome des siècles plus tard…
 
Il est impossible de ne pas s’attacher à cette jeune femme lumineuse, qui refuse d’être une femme trophée/objet en s’aliénant en partie sa propre mère. Elle choisit une route différente, pleine d’obstacles et de réprobation qu’elle affronte avec bravoure. Comme dans l’essentiel de ses romans, les personnages, et notamment cette jeune femme, sont vivants, intéressants et crédibles. Il m’a été difficile de ne pas faire un trait d’union avec les plus connus des récits de Racine et ses tragiques destins féminins. C’est d’ailleurs un peu cette similitude d’époque et « d’esprit » qui m’a beaucoup plu  et attitrée dans Lavinia ( j’aime les pièces de théâtre et l’œuvre de Racine, entre autres).
 
La fibre anthropologue de Le Guin est nettement perceptible dans le traitement de cette société antique. Non seulement, elle maîtrise la place de la femme, la religion, les liens et traités entre tribus/villes, mais, elle  insuffle une véracité remarquable et très visuelle. Cet aspect « sciences sociales », la nature même de cette fantasy autre, le rythme pas des plus soutenus, pourraient toutefois rebuter des amateurs de magies chatoyantes qui recherchent un roman à base historique ET plein d’action.
 
Publié le 16 décembre 2017

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