Chantée par elle-même
Puisque son poète, Virgile, ne l’a pas fait, Lavinia a utilisé le truchement de l’autrice de science-fiction américaine Ursula K. Le Guin pour chanter, elle-même, son épopée. Car elle ne fut pas le personnage furtif de l’obscure femme d’Énée, non. Elle menait ses propres combats auprès des dieux de la forêt : contre la mort et la maladie, contre la folie de sa mère, contre les lois régentant les unions des princesses et pour choisir elle-même chaque ligne de son destin, y compris son compagnon Énée – le survivant troyen qui a jeté l’ancre dans la terre de Lavinia –, la guerre, la maternité et l’exil. Elle a élevé son enfant, Silvius, cachée sous le couvert des arbres ; elle a élevé son récit jusqu’aux cimes.
La redécouverte de Lavinia, dans sa voix puissante et poétique, poussa des centaines de récits à refaire surface et à proposer à l’humanité des fictions conscientes des normes patriarcales ayant pesé sur leurs versions précédentes, et déterminées à s’en décoller. Cette renaissance a aussi ouvert un espace dans lequel des autrices du monde entier, les « laviniennes », posent les jalons d’une forme de réparation poétique et politique, pour toutes les femmes victimes des silences des conteurs et de la violence des hommes.