"Ring Shout" fait 170 pages, c’est beau, sombre, émouvant, dramatique, assez flippant, très documenté, et ça vous laisse pantelant tellement c’était bien.

Ring Shout - Yozone
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J’ai déjà dit la claque littéraire qu’étaient pour moi les autres novellas de Phenderson Djeli Clark publiées par l’Atalante. Avant de me lancer dans le plus épais Maître des Djinns, me restait à découvrir son Ring Shout, triplement auréolé des Nebula 2020, Locus et British fantasy 2021.

Ring Shout, c’est une sorte de dark fantasy mélangeant magie afro-caribéenne, Ku Klux Klan et horreur lovecraftienne, par les yeux d’une héroïne qui a tous les attributs classiques : épée magique, traumatisme enfoui (on a tué toute sa famille), esprit de vengeance et être aimé qui lui sera enlevé par l’ennemi. Mais pour changer des chevaliers à l’armure étincelante, ici il s’agit de Maryse, jeune femme noire dans un pays et une époque où ce n’est pas une bonne idée.
Elle est épaulée de la plus jeune Sadie, mulâtre très habile à la Winchester et femme libérée, pas la langue dans sa poche ni le genre à s’attacher à un mec, et Corinne, dite Chef, qui a fait la guerre en France dans les Harlem Hellfighters. L’ainée est un peu la voix de la sagesse dans un trio plutôt casse-cou et bien déterminé à faire son job, aussi dangereux et peu ragoûtant soit-il, puisqu’en plus de tuer ces bestioles, elles en ramènent des bouts à la scientifique de leur bande. Bande réunie autour de Nana Jean, la Mama Gullah, sorcière et prophétesse, qui organise la lutte contre les Ku Kluxes dans la région, et contre le Klan en général.

Par une narration à la première personne, très marquée par une grammaire oralisée et une langue populaire, mâtinée d’argots, l’auteur (et sa super-traductrice Mathilde Montier avec qui il a travaillé notamment, explique-t-il en avant-propos, sur les perceptions du mot « nègre », différentes en France et aux USA, Histoire oblige) nous plonge dans une musicalité linguistique forte, qui retranscrit parfaitement la psychologie de son héroïne, pleine d’adrénaline et de peurs. C’est à la fois foutrement érudit à chaque page, bourré de détails historiques plus vrais que nature, et terriblement immersif, tous nos sens mis à l’épreuve tant dans les temps calmes (le retour à la base, la soirée au Frenchie’s, le cabaret noir local) que lorsque cela bascule irrémédiablement dans l’horreur lovecrafitenne pure et dure, de la visite à la boucherie du meneur des Ku Kluxes à la bataille finale, une colline pelée, battue par la pluie, en pleine projection du film ultra-raciste “Naissance d’une nation”, et à deux doigts de l’ouverture de la porte des enfers.

C’est, assez classiquement, le parcours initiatique d’une héroïne, écrivais-je donc plus haut, avec l’entourage arthurien attendu, tout cela à la sauce d’une autre matière que celle de Bretagne. Autour de Nana Jean il y a les Shouters, des chanteurs mais surtout danseurs, donc la scansion rituelle de chants commémorant des temps forts de leur vie d’esclaves ou de leur émancipation produit des effets... magiques, fortement nocifs aux Ku Kluxes. Maryse n’est pas une guerrière solitaire, et même si elle ressent le poids de la cause peser sur ses seules épaules, même si elle se voit soumise au choix et à la tentation de l’Ennemi, elle sait compter sur ses camarades de lutte, jusqu’au bout, voire au-delà. On a mal avec elle, on a peur avec elle, on souffre avec elle, jusqu’à la délivrance finale.

Ring Shout fait 170 pages, c’est beau, sombre, émouvant, dramatique, assez flippant, très documenté, et ça vous laisse pantelant tellement c’était bien.

Publié le 30 novembre 2023

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