À propos de Ring Shout finalement, un seul conseil : sautez dessus !

Ring Shout - Le nocher des livres
Article Original

Alors que les États-Unis se débattent toujours avec les relents de l’esclavage et de la guerre de Sécession, alors que les affaires mettant en scène victimes noires et policiers blancs fleurissent toujours dans les journaux, Phenderson Djèlí Clark revient sur la période terrible où le Klan (le Ku Klux Klan) faisait régner la terreur dans certaines parties du pays. Mais à la sauce Cthulhu, puisque les Klanistes se transforment en monstres pleins de haine et de violence. Face à eux, quelques combattants, et, surtout, quelques combattantes se dressent.

Un trio difficile à ne pas aimer

Bienvenue aux État-Unis. À Macon, Géorgie (un état du sud-est américain). En 1922. Le Ku Klux Klan y a ses habitudes, il s’y sent à l’aise. Pas comme la population noire, qui fait le gros dos. Même si elle n’est plus esclave, elle sait que les vieilles habitudes perdurent et que leur existence ne tient souvent qu’à un fil. Mais tous ne se laissent pas faire. En particulier un trio de jeunes femmes qui n’ont pas la langue dans la poche et n’hésitent pas à mettre leur vie en jeu au profit des autres. Chef (c’est le surnom de l’une d’entre elles), d’ailleurs, n’en est pas à son coup d’essai puisqu’elle était engagée dans la guerre, en Europe. Elle sait l’horreur, elle sait la violence, elle sait le sang qui coule. Sadie, la plus jeune, la plus difficile à raisonner, prête à la bagarre au moindre regard de travers. Et il y en a, des regards de travers. Et enfin, la narratrice, jeune femme énergique, engagée dans un combat qui la dépasse. Car elle ne se bat pas pour elle seule. Elle est guidée par trois haints (des esprits, en quelque sorte, qui l’entrainent dans leur monde pour communiquer avec elle). Et elle possède une arme magique qui, à l’inverse de la Stormbringer inventée par Michael Moorcock, n’avale pas les âmes des victimes, mais utilise la force d’âmes mêlées à la traite des êtres humains.

Des ennemis hideux à souhait

Et elle en a bien besoin, de cette arme. Car en face, les ennemis sont nombreux, quasi innombrables. Et sans hésitation dans leur lutte contre les Noirs. Les Blancs qui s’en viennent écouter les inepties racistes des membres du Ku Klux Klan se transforment peu à peu en monstres. Notre monde, en effet, est un terrain de bataille. Ou, peut-être plutôt, un terrain de chasse. Et les humains ne sont que des pions utilisés par des êtres atroces et cruels tout droit issus de l’imaginaire lovecraftien. Certaines créatures sont dignes de peupler nos cauchemars. Maryse, la jeune « chevalière » (je me permets ce terme, car l’auteur parle, dans sa préface, à propos de ce récit, de fantasy), est capable de les voir car elle est, en quelque sorte, l’élue, choisie par des entités pour protéger les humains contre la convoitise d’autres entités avides de la haine exsudée par les racistes en tous genres. Elle va avoir fort à faire, car les protagonistes sont nombreux, plus qu’il ne paraît au premier abord. Et des conflits d’intérêts apparaissent, d’un côté ou de l’autre, compliquant la donne.

Un contexte bien présent

Pour un récit de SF, Ring Shout est terriblement ancré dans l’histoire. On se croirait plongé dans les États-Unis du début du XXe siècle : les décors transpirent de réalisme, les faits historiques consolident le tableau, les personnages collent à leur époque. L’auteur utilise, par exemple, le film Naissance d’une nation de D.W. Griffith et qui date de 1915. Cette œuvre proposait une vision pour le moins contestable de l’Amérique du Nord, vision sudiste et raciste, avec des Noirs plus proches de sauvages sans foi ni loi que d’êtres civilisés. Phenderson Djèlí Clark lui réserve un sort bien mérité à mon avis.

Autre point qui nous fait voyager sous ces contrées lointaines : l’auteur a utilisé certains mots, voire certaines phrases, issus de dialectes locaux, dont l’anglais vernaculaire afro-américain. Halte là, me direz-vous. Qu’est-ce que cela peut bien me faire, puisque je vais lire une traduction française de ce texte ? Eh bien, vous répondrai-je, la traductrice, Mathilde Montier, qui a dû s’arracher les cheveux un certain nombre de fois, a fait un travail magistral (avec l’aide de l’auteur qui a validé ses choix) : le rendu est impressionnant. On a l’impression d’entendre parler ces personnages. Même si une ou deux fois, il m’est arrivé de gratter la tête pour comprendre en détail une phrase, je n’ai éprouvé aucune gêne à la bonne compréhension de l’histoire. Au contraire, j’y ai gagné l’impression de la vivre. J’avais ressenti le même phénomène à la lecture de la novella Les tambours du dieu noir, publiée en début d’année par L’Atalante. Certains personnages utilisaient alors des mots typiques de la Nouvelle-Orléans. Et le texte en gagnait en profondeur. Ici également, l’immersion est complète : par la vue et l’ouïe nous sommes transportés dans l’histoire. L’odorat et le goût ne sont pas en reste, même si dans une moindre part. Bienvenue à Macon !

Un récit dense malgré sa courte pagination

Les trois précédents récits de Phenderson Djèlí Clark publiés en France par l’Atalante (dans deux ouvrages : Les tambours du dieu noir et Le mystère du tramway hanté) étaient clairement des novellas. Ici, on approche les deux cents pages (170, en fait). C’est donc plutôt un court roman. Et il en possède les caractéristiques, car l’auteur prend le temps de détailler les personnages principaux, mais d’autres aussi. Ce ne sont pas que des silhouettes croisées. On a le loisir de les découvrir, de les comprendre dans leur complexité, de s’attacher à eux, ce qui est plus difficile dans les textes plus courts où l’auteur se doit d’aller à l’essentiel. Surtout quand, comme Phenderson Djèlí Clark, il bâtit des récits aux multiples péripéties. Car on n’a pas le temps de s’ennuyer à la lecture de Ring Shout. La scène d’ouverture finit rapidement dans le sang. Les évènements se succèdent, avec plus ou moins d’ampleur. Phenderson Djèlí Clark nous gratifie de scènes d’action rapides mais intenses et n’hésite pas à mouiller la chemise. Tout comme il n’hésite pas à montrer l’horreur dans toute sa force, évoquant des images particulièrement marquantes. Ça transpire et ça saigne, à Macon.

Décidément, pour l’instant, c’est un sans faute pour Phenderson Djèlí Clark : trois ouvrages publiés en France, trois réussites cette année. J’attends donc avec impatience la publication du Maitre des djinns l’année prochaine pour prolonger ce bon moment (même si l’univers est totalement différent de celui de Ring Shout). À propos de Ring Shout finalement, un seul conseil : sautez dessus !

Le nocher des livres

Publié le 7 décembre 2021

à propos de la même œuvre