Ring Shout est une excellente surprise. Plus uchronie que SF pure, ce roman nous emporte dans un passé revisité où la magie et le chant ont toute leur raison d’être. C’est beau, envoûtant… mais trop court. On en veut encore !

Ring Shout - Cubic
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Histoire de bien commencer cette nouvelle année – que nous vous souhaitons heureuse et surtout en bonne santé – on vous emmène faire une petite escapade aux USA, dans l’une des périodes les plus troubles du pays.

« Z’avez déjà assisté à un défilé du Klan ? »

Bienvenue en 1922, à Macon, petite ville du sud des Etats-Unis où va se tenir l’intrigue de Ring Shout. L’histoire commence sur les chapeaux de roues, en plein défilé du KKK. Le « Second éveil » a mis en branle le mouvement raciste américain suite à la projection du film Naissance d’une nation, et les hommes et femmes à la cagoule pointue assument pleinement leur haine des personnes noires.

Le monde ignore toutefois qu’une influence démoniaque se cache derrière cette production. Nous, lecteurs, sommes d’ailleurs vite mis au jus, dès les premières pages. Maryse Boudreaux - accompagnée de ses compagnes Chef et Sadie - traque sans relâche les Ku Kluxes, ces êtres abjectes venus d’ailleurs pour se nourrir de la haine des humains.

D’entrée de jeu on est dans l’ambiance, et par la suite, les 150 pages et quelques du livre de Clark nous délectent avec un style fantasy/fantastique indéniablement attractif. Si nous avons craint au début des maladresses concernant l'utilisation du KKK en tant que principal protagoniste, l’auteur américain nous fait vite oublier nos méfiances.

« Ça, c’est un Ku Klux. Un vrai  Ku Klux. L’est blanc des pieds à la tête, d’un blanc osseux grisâtre, jusqu’aux griffes comme des lames en ivoire. »

Faisons une petite présentation des fameux démons dont il est question. Le premier chapitre du livre commence par leur traque, l’occasion pour l’auteur de nous dévoiler à quoi ressemblent les « vrais » Ku Kluxes. Sans vous dévoiler les détails, disons que c’est le genre de bestiole que vous n’aurez pas envie de voir à votre table !

Sortes d’aliens traqueurs de personnes noires, ces démons surnaturels sont dotés de capacités supérieures à celles des humains. D’ailleurs, ils restent invisibles aux yeux des personnes qui ne possèdent pas un pouvoir particulier de « vision ». Sans cette perception rare, un Ku Klux ressemble en effet à n’importe quel membre humain du Klan.

Comme vous devez vous en douter, notre héroïne, elle, possède la capacité de détecter les démons. Elle a même l’insigne honneur de porter une épée magique en mesure de tuer les bestioles. Cette arme renferme les esprits d’anciens esclavagistes, condamnés à purger leurs péchés en pourfendant le mal aux côtés de Maryse. Si l’approche fantasy est assez classique - hormis l’époque qui l’est moins - on se retrouve vite happés par le monde incroyable de P. Djèli Clark qui fait montre d'un véritable talent d’écriture !

« Latempét, latempét, latempét arrive bientôt… »

Il y a des ouvrages qui marquent leurs lecteurs non par le récit même, mais par leur écriture. On pense parmi eux au Déchronologue , par exemple, en particulier avec le personnage haut en couleurs de Féfé de Dieppe et son parler inimitable. Impossible aussi de passer à côté de La Horde du Contrevent, l’écriture d'Alain Damasio ne laissant pas indifférent… Il faudra maintenant aussi compter avec Ring Shout.

Comme le précise l’auteur dans sa préface, le roman est écrit dans le dialecte anglais afro-américain d’époque. Le franc-parler des personnages accentue donc l’immersion au sein de l’univers poignant du livre. Mention particulière pour Nana Jean, la « mamie » qui veille sur l’escadron de Maryse en prodiguant conseils et prophéties à ses protégées dans son dialecte chantant.

Le chant tient d’ailleurs une place centrale dans le roman. Entre les « Shouts » dynamiques destinés à appeler les esprits, et l’épée chantante de Maryse, on plonge en plein dans le sud des USA d’après-guerre. Cette immersion est d’autant plus intense que l’auteur y mélange des faits historiques et sa propre expérience de vie. Rien que pour ça, le voyage vaut le coup. Et puis il faut bien avouer que la chasse aux démons, c’est aussi très sympa !

« Clyde le Boucher y disait ça que c’qui venait c’était du lourd. Stone Mountain, c’est là qu’y ont pratiqué l’invocation à l’origine de tout. C’est forcément là que la Grande Cyclope elle se manifestera ! »

Qui dit héroïne courageuse dit forcément gros méchant patibulaire : c'est le rôle de Clyde le Boucher, qui ne laisse pas indifférent. Maryse sera confrontée à plusieurs reprises à ce Ku Klux pas comme les autres, qui semble tout droit tiré d’un roman de Lovecraft, mais que nous vous laisserons le plaisir de découvrir par vous-même.

C’est à travers lui que seront dévoilées les véritables intentions des démons : attiser la haine pour s’en nourrir. Le film maudit Naissance d’une nation, diffusé sur Stone Mountain, est ainsi le déclencheur d’un événement qui va précipiter l’humanité vers sa fin.

Guidée par ses visions et les esprits de ses ancêtres, Maryse devra lutter contre ses propres angoisses pour avancer la tête haute face à Clyde et ses séides. L’occasion notamment de découvrir quelques éléments de la tradition afro-américaine, comme les rituels hoodoo. C’est diablement savoureux !

« Puis, le visage tendu vers les cieux, la Gullah entonne un Shout. »

C’est dans une véritable apothéose que se termine le roman de P. Djèli Clark, comme un mélange de film hollywoodien et d’héroïc fantasy, dans une ambiance lovecraftienne du plus bel effet. Paradoxalement, la musique joue un rôle central dans cette œuvre littéraire : on l'imagine dans toute sa puissance sacrée, porteuse de la souffrance d’un peuple et de son envie de liberté.

Uchronie atypique, Ring Shout nous apparaît comme un roman à lire au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce pour son univers enchanté pourtant basé sur de terribles faits historiques. Nous ne regretterons au final qu’une chose : qu'il ne soit pas plus long…

Ring Shout est une excellente surprise. Plus uchronie que SF pure, ce roman nous emporte dans un passé revisité où la magie et le chant ont toute leur raison d’être. C’est beau, envoûtant… mais trop court. On en veut encore !

Johan Gautreau

Publié le 18 janvier 2022

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