Un contexte auquel P. Djéli Clark parvient très finement à insuffler des éléments d’horreur empruntés à H. P. Lovecraft mais aussi à la Fantasy classique.

Ring Shout - La bibliothèque d'Aelinel
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Après avoir adoré les précédentes novellas publiées chez l’Atalante, Les tambours du dieu noir et Le mystère du tramway hanté, je me suis donc précipitée sur le nouvel opus Ring Shout qui se déroule dans l’Amérique ségrégationniste des années 20.

L’intrigue se déroule à Macon, en Géorgie, au sud des Etats-Unis. En 1922, le souvenir de l’esclavagisme est encore très présent et l’organisation du Ku Klux Klan se nourrit de propagande raciste avec la diffusion du film Naissance d’une nation. Les Blancs enrôlés n’ont alors aucune honte à défiler dans les rues ou à s’en prendre violemment aux Noirs lors d’expéditions punitives. Sadie, Maryse et Chef sont trois jeunes femmes noires qui ont décidé de se défendre contre ces monstres. Un après-midi, elles campent armées sur un toit et tendent un piège aux Ku Kluxes en les attirant avec un chien mort. Trois d’entre eux ne tardent pas à pointer le bout de leur nez. C’est alors que Sadie tire la première…

Phenderson Djéli Clark est historien et professeur à l’Université du Connecticut. Spécialisé sur les questions de « l’esclavage et de l’émancipation dans le monde atlantique » d’après sa biographie dans la présente édition de Ring Shout, il n’est donc pas étonnant qu’il ait donné pour cadre l’Amérique des années 20 et la montée du Ku Klux Klan.
Cette organisation raciste et terroriste a vu le jour en 1865-1866 après l’adoption des 13ème, 14ème et 15ème amendements promulguant l’abolition de l’esclavage et accordant la citoyenneté et le droit de votes aux afro-américains. Les Etats du Sud des Etats-Unis dont la Géorgie ne l’entendent pas de cette oreille car une partie de l’économie locale se fondait sur l’exploitation de l’esclavage. Entre 1865 et 1871, les membres du Ku Klux Klan vont mettre à feu et à sang les Etats du Sud perpétrant meurtres, viols, intimidations auprès de la population noire mais aussi contre les Blancs qui soutiennent cette dernière.
Péréclitant au début du XXème siècle, l’organisation connaît un nouvel engouement aux Etats-Unis à partir de 1915 lors de la diffusion d’un film raciste et nationaliste qui réécrit l’Histoire et fait passer les Blancs pour des victimes, Naissance d’une Nation (The Birth of a Nation). Cette seconde vague durera jusqu’en 1944 durant laquelle les membres du Ku Klux Klan reprendront leurs activités violentes à l’encontre des populations afro-américaines.

L’auteur s’inspire donc de ces évènements réels et les adaptent aux personnages de Ring Shout : 
– En 1915, la famille de Maryse (sa mère, son père et son frère) sont ainsi tués lors d’une expédition violente et gratuite de la part du Ku Klux Klan. La jeune femme ne doit son salut qu’au fait qu’elle a réussi à se cacher sous le plancher. 
– En 1922, Maryse, Sadie et Chef doivent se battre contre les Klansmen qui ont mis le feu au Frenchy’s, un bar détenu et fréquenté par des afro-américains à Macon. 
– Le KKK organise des défilés dans les rues comme au début de la novella, le 4 Juillet à Macon. 
– Les membres du KKK se réunissent à Stone Mountain pour une cérémonie au cours de laquelle ils vont visionner le film Naissance d’une Nation et allumer le feu à une croix. Cet évènement a bien eu lieu mais en 1915. 
– Ils portent un uniforme caractéristique avec une robe et leur visage est masqué par une capuche longue et conique. Celui des membres des Klansmen est blanc (toutefois, la couleur pouvait changer en fonction du grade). 

Outre ces évènements qui s’inspirent de faits réels, l’auteur fait littéralement de ces membres du KKK de véritables monstres. Provenant d’une autre réalité, les Ku Kluxes auraient été invoqués pour la première fois à la fin du XIXème siècle ; après une première victoire qui les a fait refluer, ils reviennent de plus en plus en forts lors d’une seconde vague en 1915. Ils se servent alors de la diffusion du film de propagande Naissance d’une Nation et du produit de la haine pour transformer les êtres humains en Ku Kluxes. Et je dois dire que ces métamorphoses sont assez dérangeantes (que ce soit les bouches qui recouvrent le corps de Clyde le Boucher ou la Grande Cyclope assez répugnante qui apparaît lors de la cérémonie de Stone Mountain). Cela se rapproche un peu de l’univers de H. P. Lovecraft et du mythe du Cthulhu auquel il fait littéralement référence à la fin de la novella.

En effet, bien que la novella se déroule dans les Amériques des années 20, il reprend un certain nombre de codes de la Fantasy classique à savoir :
– Le thème de l’Elu(e) avec le personnage de Maryse.
– Celui de l’Orpheline lorsque la jeune femme perd sa famille tuée par les Klansmen.
– L’épée qu’elle peut faire apparaître comme par magie.
– Les « marraines » de Maryse, ses tantes Ondine, Jadine et Margaret qui se trouvent dans une autre réalité et qui la conseillent. 
– Des sorciers dont Nana Jean qui pratiquent le Shout, une sorte de danse rituelle. 
– Un idiome spécifique (les personnages principaux parlent le créole afro-américain gullah-geechee qui n’a pas dû être facile à traduire par Mathilde Montier!). 
– Un bestiaire imaginaire à savoir les Ku Kluxes, la grande Cyclope (qui fait référence à un titre honorifique dans la hiérarchie du KKK, le Grand Cyclope), les Docteurs de la nuit, etc…

En conclusion, cette novella possède un univers très complexe qui s’inspire des évènements réels issus de l’Amérique ségrégationniste des Année 20 et des manifestations de violence du Ku Klux Klan à l’encontre de la population afro-américaine. Un contexte auquel P. Djéli Clark parvient très finement à insuffler des éléments d’horreur empruntés à H. P. Lovecraft mais aussi à la Fantasy classique.

Publié le 11 février 2022

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