Ring Shout est un texte brillant et percutant, dont le propos est bien plus riche que ne le laisse présager son intrigue.

Ring Shout - Yossarian, sous les galets, la plage...
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Maryse Boudreaux, Sadie et Chef forment un sacré trio. La porteuse d’épée assoiffée d’âmes, la tireuse d’élite et l’ancienne combattante de la Première Guerre mondiale, au sein des Harlem Hellfighters, n’usurpent pas le qualificatif de drôles de dames qui colle à leurs basques. Elles ne manquent pas en effet de témérité et d’insolence, aussi promptes à dégainer le flingue que les bons mots. A Macon la géorgienne, il ne fait pas bon croiser leur route lorsqu’on est suprémaciste ou sympathisant de la cause du grand mâle blanc. Elles ont tôt fait de leur faire comprendre que la capuche ne les protège pas de tout, surtout pas du délit de sale gueule qui accompagne leurs préjugés racistes. Connues comme le loup blanc dans leur communauté, on n’est pas à un paradoxe près, elles écument les lieux douteux, histoire de décaniller le Ku Kluxe enragé. Une croisade accomplie au nom du bien pour éviter de voir débarquer du côté de notre univers cette engeance malfaisante, dont les cagoulés du Ku Klux Klan font le lit avec leur haine recuite du nègre. Autant dire qu’elles ont du boulot en ce début des années 20, qui voit l’enthousiasme des cagoulés redoubler de ferveur avec la projection du film Naissance d’une nation.

Troisième titre de P. Djèli Clark traduit dans nos contrées chez L’Atalante, de surcroît récemment primé (un Locus et un Nebula, excusez du peu), Ring Shout s’impose d’emblée comme un coup de cœur où la brièveté rageuse du récit contribue à son efficacité redoutable. Court roman de fantasy urbaine horrifique, Ring Shout plonge ses racines dans la culture gullah-geechee, un corpus de contes folkloriques importé d’Afrique sur les côtes nord-américaines par les esclaves et popularisé par leurs descendants. L’auteur mêle ainsi le patrimoine ethnographique à un imaginaire science-fictif, jouant sur les ressorts des univers multiples et sur la porosité des frontières, y compris entre les genres. En conséquence, voici une histoire ayant sans doute donné du fil à retordre à la traductrice, comme en atteste P. Djèli Clark lui-même dans un avant-propos très intéressant, mais le résultat semble incontestablement à la hauteur de la langue gouailleuse, de l’atmosphère délicieusement tordue du récit et du propos sans concession de l’auteur.

Malin, P. Djèli Clark l’est à plus d’un titre. Il traite en effet de la ségrégation raciale, des lois Jim Crow et du regain de vigueur du Ku Kux Klan dans les années 20, d’une manière pugnace, ne montrant aucun état d’âme et ne laissant aucune prise au dilemme. On se situe ainsi dans le registre du combat, de l’affrontement entre le Bien et le Mal, où le Grand Ennemi prospère sur la haine raciale et sur l’injustice. En cela, Ring Shout relève bien de la fantasy, mais une fantasy urbaine qui voit les motifs et les poncifs du genre se parer des attributs de notre monde, de notre histoire, pour le meilleur et le pire, rappelant notamment à notre mémoire le massacre de Tulsa.

Fort heureusement, P. Djèli Clark n’est pas du genre à nous faire la morale ou à la leçon. Ses héroïnes se montrent suffisamment incorrectes, insolentes et libres, pour envoyer balader toute envie de croisade ou de discours militant. On reste après tout en terre de mauvais genre, comme se chargent de nous le rappeler les péripéties d’une intrigue oscillant entre horreur viscérale et fantasy épique, même si le folklore afro-américain et l’histoire apportent une contribution essentielle au propos de l’auteur et à l’atmosphère très réussie de cette novella.

Ne nous montrons donc pas négligent en économisant les compliments. Ring Shout est un texte brillant et percutant, dont le propos est bien plus riche que ne le laisse présager son intrigue. Pour cette raison, il rejoint illico mes coups de cœur et je vous enjoins de le lire. Assertion non négociable.

Publié le 16 mars 2022

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