Il ne saurait pour autant être ici question d’un simple roman initiatique au déroulement convenu et l’ouvrage nous entraîne avec finesse jusqu’à un dénouement particulièrement réussi qui donne matière à réfléchir et discuter. L’imaginaire et l’histoire se rejoignant alors avec brio pour fournir une vie exemplaire, au premier sens du terme, prenant à contre-pieds de nombreux récits de fantasy.

Kay - Le fleuve céleste - Elbakin
Article Original
Après s’être inspiré de la dynastie Tang (618-907) dans les Chevaux Célestes, c’est aux années 1120 et à la chute des Song du nord que s’attaque l’auteur dans le Fleuve céleste, roman de 700 pages paru chez L’Atalante.
Comme à l’accoutumée, Guy Gavriel Kay a soigneusement étudié la période et on ne peut que recommander la lecture des remerciements figurant en fin de volume, dans lesquels il fournit une bibliographie qui ravira toute personne désireuse d’en apprendre davantage. Il revient à cette occasion une nouvelle fois sur son choix de fusionner histoire et imaginaire pour, en créant son propre univers, lui permettre de resserrer quelque peu la chronologie, comme dans les Lions d’Al Rassan, mais également de faire plus aisément interagir maintes figures librement inspirées de personnages historiques. Force est de constater que l’auteur sait à merveille exploiter une galerie de protagonistes hauts en couleurs, dressant ainsi une série de portraits tout sauf manichéens d’hommes et de femmes crédibles et pour beaucoup attachants. Le Fleuve céleste nous entraîne sur les pas de personnages variés, du plus humble au courtisan, du soldat au lettré, parvenant parfois en quelques lignes à dépeindre avec justesse quelque individu de moindre importance. Ainsi certaines figures fort secondaires s’avèrent marquantes à la lecture.
Comme il avait su le faire dans les Chevaux célestes, Guy Gavriel Kay nous immerge dans une culture raffinée où calligraphie et poésie tiennent une place centrale. Les intrigues feutrées de la cour impériale se dévoilent une nouvelle fois, mais les préoccupations de maints dignitaires apparaissent ici bien plus futiles et tragiques car se déroulant dans une Kitai déclinante et amoindrie ; civilisation brillante ayant conscience de sa lente déchéance sans en mesurer la gravité. Sans en dévoiler l’intrigue, le poids des événements survenus dans les Chevaux célestes se fait par ailleurs sentir durant tout le roman, ombre pesant sur la Kitai, crainte de nombreux empires en les ayant rendu paradoxalement inopérants face à toute autre menace. Car, comme l’indique la période concernée, c’est l’histoire d’une chute et des tentatives d’y remédier qui nous est ici contée, à travers les pas de Ren Daiyan, rejeton d’un archiviste de campagne, jeune garçon idéaliste et passionné rêvant de rendre à son pays sa gloire d’antan. Il ne saurait pour autant être ici question d’un simple roman initiatique au déroulement convenu et l’ouvrage nous entraîne avec finesse jusqu’à un dénouement particulièrement réussi qui donne matière à réfléchir et discuter. L’imaginaire et l’histoire se rejoignant alors avec brio pour fournir une vie exemplaire, au premier sens du terme, prenant à contre-pieds de nombreux récits de fantasy.
 
Publié le 14 novembre 2016

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