Prendre comme cadre la Chine de la dynastie Tang (618-907) pour un roman de fantasy, voilà le pari osé de Guy Gavriel Kay dans Under Heaven. Et le moins que l’on puisse, c’est que c’est un pari réussi.
Nombre
d’historiens s’accordent sur le fait que cette dynastie cristallise
l’apogée de la Chine classique en matière de raffinements, de culture et
d’art. En s’en servant comme socle pour nous conter son histoire,
l’auteur nous offre un voyage à travers le temps et l’espace, pour nous
plonger au cœur d’événements qui vont changer à jamais la face de la
Kitai (nom de cette Chine imaginaire).
Au fil de la lecture, on se
surprend à se demander pourquoi ce roman se classe dans le registre de
la fantasy, tant le travail de reconstitution de l’auteur est
impressionnant de justesse et de maîtrise, comme toujours avec Guy
Gavriel Kay. Tout ce qui fait l’apanage de cette période est fidèlement
retranscrit : l’importance du culte des ancêtres, la poésie,
l’étiquette, le protocole, le compartimentage de la société, l’équilibre
des forces de la nature et bien entendu, les intrigues de cour.
Ce
sont les mythes et légendes chinois qui donnent la matière à l’auteur
pour introduire, par petites touches, la composante fantastique de son
récit. D’abord très discrète, presque invisible, elle se révélera
finalement un moteur de l’intrigue.
La force de ce roman tient en
deux choses : d’abord le cadre, exotique et envoûtant, de cette Kitai au
bord d’un grand bouleversement, mais aussi la profondeur des
protagonistes. Si toute l’intrigue tourne du personnage de Shen Tai,
celui-ci se retrouve vite ballotté par les courants du destin et de la
politique de la Kitai par le don généreux d’une princesse étrangère :
250 chevaux sardes, réputés les meilleurs du monde, et biens précieux
entre tous. Cet événement, d’apparence anodin, va déclencher dans
l’empire des événements aux répercussions incalculables, dont Shen Tai
va finalement plus être spectateur qu’acteur.
Les forces qui vont se
mettre en branle le dépassent. Heureusement pour lui, il fera
connaissance sur la route qui le mène à la capitale Xinan (dont le nom
n’est pas sans rappeler Xi’an, capitale du premier empereur chinois) de
personnages hauts en couleur, dont certains inspirés de figures
historiques (notamment le poète Sima Zian). Alors que Shen Tai nous fait
découvrir les méandres de la Kitai, sa sœur Li Mei nous emmène, elle,
au-delà des frontières de la Grande Muraille qui entoure l’Empire, à la
découverte des terres sauvages peuplées de nomades (d’inspiration
turco-mongoles), là où s’estompe la frontière entre réel et magie. Son
périple nous permet de porter un regard « extérieur » sur la Kitai, sur
comment est perçu cet empire par les nations qui lui sont voisines et
assujetties.
Car, au fil du récit, quelque chose devient de plus en
plus clair pour le lecteur : la Kitai est la véritable héroïne de ce
roman. On sent battre son cœur à travers les actions des divers
personnages, on assiste aux mutations qu’elle subit, et on voit comment
elle s’y adapte. Ses traditions sont malmenées, son territoire ravagé de
l’intérieur et menacé de l’extérieur, mais elle reste présente à chaque
instant au cœur du récit, que cela soit dans la description d’une ville
et de ses habitants, dans un poème déclamé par Sima Zian ou dans la
manière dont agissent les protagonistes. La Kitai est éternelle, peu
importent les remous de son histoire.
C’est donc un roman fortement
empreint de poésie que nous livre ici Guy Gavriel Kay. Cette dernière,
présente presque à chaque page, constitue finalement le ciment de
l’œuvre : elle permet de nous faire découvrir l’histoire et la mentalité
de la Kitai, mais sert aussi d’indicateur à la pensée et aux actions
des personnages. La crédibilité du roman est renforcée par l’évident
travail de recherches historiques fait par l’auteur en préparation de
l’écriture. Si vous aimez la fantasy historique, ou que vous souhaitez
vous offrir un voyage dans un monde imaginaire, mais finalement très
ancré dans notre histoire, n’hésitez pas. Pour les autres, Under Heaven sera un dépaysement assuré et un enchantement pour l’esprit, tant la poésie et la magie qui se dégagent du roman sont fortes.
9.0/10
Gilthanas - Elbakin.net