L’Atalante
Ce roman de Guy Gavriel Kay fait suite aux Chevaux Célestes; 300 ans se sont écoulés depuis la fin des événements relatés alors, dans cette Kitaï directement inspirée de la Chine.
La guerre civile dont nous avons vécu les prémices dans le tome précédent laissa de profondes cicatrices dans le paysage asiatique. La Kitaï a peur de ses généraux et préfère désormais perdre du terrain face aux redoutables Cavaliers des Steppes plutôt que de s’exposer à une lutte fratricide. Les empereurs précédents choisirent d’abandonner une partie de leur territoires, une bande pourtant symbolique : les Quatorze préfectures bordant la limite nord du pays.
La situation n’est pas du goût de Ren Daiyan qui rêve de restituer toute sa splendeur à l’Empire. De l’autre côté du spectre, nous trouvons Lin Shan, cultivée, unique qui enchante la cour de l’Empereur Wenzong. Leur destin est lié.
Le roman est composé de cinq parties et ce découpage savamment orchestré conduit inexorablement à la chute de la dynastie Song. Telle une onde harmonique, chacune amplifie cette sensation d’inéluctable. D’ailleurs, le son persistant et grave d’un immense gong résonne et semble persister à la fin de chacune d’entre elles.
Cette fantasy historique patiemment élaborée et richement documentée est typique de notre auteur. A travers le destin des deux protagonistes principaux le lecteur prend contact avec cet empire surprenant et puissant.
Ainsi, d’un côté trouvons-nous un soldat impliqué dans l’action, et de l’autre une femme de lettre et de l’art qui subit. Les deux faces d’une même pièce, opposées tout en étant liée. Ce double point de vue est primordial dans la saveur qui se dégage du roman de Kay.
Effectivement comment comprendre et accepter qu’une nation si puissante, si riche de ressources, de moyens et d’hommes se laissent presque volontairement malmenée par les barbares (Mongols) de la steppe?
Goooong!
Ren Daiyan et le lecteur se rebellent contre cette résignation, contre cet abandon déloyal. Nous découvrons ainsi un jeune homme, fils d’un archiviste dans une province septentrionale qui rêve de revanche mais surtout d’arracher les Quatorze Préfectures des mains des barbares. Il est certain de sa destiné ainsi que de la pureté de sa mission et mettra tout œuvre pour réaliser cette prouesse. Tout au long de son parcours, le lecteur est invité à découvrir la Kitaï provinciale, paysanne, loin des yeux de la Cour et des puissants. Des petites gens, simples, vivant parfois dans le dénuement, sensibles aux accidents de la vie (famines, guerres et rebellions), savourant la paix, fidèles à leurs croyances ancestrales et animistes.
Pour tout ce peuple, l’attitude des dirigeants est incompréhensible, et la perte des territoires du Nord demeure une source de honte. C’est dans cette population, bercé dans ces espoirs et cette blessure que le jeune homme va mûrir, grandir et se forger. Aux moments clés, c’est aussi parmi eux qu’il trouvera un soutien sans faille. L’action sera au rendez-vous avec chacune de ses apparitions, parfois pour une simple escarmouche, une infiltration en territoire ennemi ou une bataille d’envergure, quelques fois aussi pour la bagatelle…
Gooooooong!
A l’opposé, Lin Shan apporte une vision tout à fait différente sur la nature même de la Kitaï. Certes, nettement plus contemplative, mais pas moins puissante et robuste. C’est à travers elle que nous nous apercevons de sa résilience, qualité indispensable et fondatrice de son éternité. Les nations barbares la balayeront sans doute, la brutaliseront certainement, mais tandis qu’elles passeront, la Kitaï demeurera. En effet, la force d’une telle nation n’est point dans la brutalité, ni dans l’affrontement des hommes, mais dans ses arts, dans son esprit, dans son âme.
Avec Lin Shan, le lecteur se familiarise avec son aspect le plus doux, mais également le plus redoutable. La culture Kitaï est sophistiquée, élégante, nuancée et complexe, son influence a traversé et continue de traverser les siècles et les frontières. L’auteur prend le temps de construire cette ambiance particulière, immatérielle et de retranscrire cette aptitude à la contemplation. Certes, Lin Shan n’en est pas la seule actrice puisque nous suivons un illustre poète banni accompagné par son fils, et l’oncle de ce dernier qui aura une mission d’ambassade auprès des barbares du Nord.
L’auteur évite de tomber dans un faux rythme, ou de mettre le lecteur sur la touche, car Guy Gavriel Kay utilise le présent de l’indicatif lors de chaque passage avec Lin Shan. Ceci permet de nous propulser habilement au cœur de l’histoire, au tout premier rang. Aussi, vit-on les moments pleinement et perçoit-on davantage de dynamisme, contrant ainsi la langueur du contemplatif.
Gooooooooooong!
Je rassure le lecteur, nous sommes bien dans de la fantasy et des éléments propres à ce genre sont bien présents, notamment avec des esprits, des femmes-renards (daji), et surtout avec des idéogrammes très particuliers… Il est toutefois inutile d’attendre de spectaculaires batailles magiques avec des sorts plus visuels et impressionnants les uns que les autres. Tout est dans l’ambiance, l’histoire et les personnages savoureux.
Question rythme, nous sommes dans la continuité Des Chevaux célestes, il est donc posé, travaillé et se fond parfaitement avec l’idée que je me fais de la Chine, à la fois douce et implacable. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu le tome précédent pour s’attaquer au Fleuve Céleste, cependant quelques petits clins d’œil parsèment l’histoire et sont appréciables en ayant goûté à l’histoire précédente (une référence aux 250 chevaux, une femme à la chevelure rousse, les vers d’un poète,….). Tout n’est pas parfait : quelques redondances et répétitions sont parfois ennuyeuses.
Goooooooooooong!
Le Fleuve Céleste s’inscrit parfaitement dans la continuité du tome précédent sur la Chine éternelle. L’auteur nous plonge au cœur de cet immense pays avec douceur, pour nous faire palpiter à l’unisson de personnages captivants. Un incontournable de la fantasy historique, un démenti éblouissant sur l’inanité du genre.