Kay - Les Chevaux célestes - Babelio
Il aura fallu quatre ans pour que Under Heaven de Guy Gavriel Kay
soit enfin traduit et publié en France sous le titre Les chevaux
célestes. Une longue attente qui permettra peut-être aux lecteurs
d'apprécier davantage encore ce roman qui s'avère être une réussite.
L'histoire se base pourtant sur un événement qui pourrait au premier
abord paraître anodin : le cadeau accordé par une princesse à un humble
étudiant en remerciement de son dévouement envers les morts d'une
terrible bataille ayant eu lieu bien des années auparavant. Un cadeau
qui, sous couvert de récompense, va au contraire bientôt prendre des
allures de malédictions pour le protagoniste, désormais au centre de
jeux politiques et d'intrigues dont il ignore totalement les règles.
Les fans de l'auteur le savent, Kay a pris l'habitude de s'appuyer sur
une période historique spécifique pour la plupart de ses romans :
l'empire romain d'Orient à la fin de l'Antiquité pour La mosaïque de
Sarrance, l'Espagne de la Reconquista pour Les lions
d'Al-rassans ... Cette fois, c'est la dynastie des Tang qui régna sur
l'empire chinois entre le VIIe et le Xe siècle après JC qui fait l'objet
des attentions de l'auteur. Une dynastie qui constitua un véritable âge
d'or pour la Chine (malgré quelques périodes de débordements sanglants)
et ici rendue à la vie l'espace de sept-cents pages grâce aux
recherches abondantes et minitueuses effectuées par l'auteur ainsi qu'à
son attention soutenue au moindre détail. Le lecteur se retrouve ainsi
transporté dans un univers exotique dont il appréhende peu à peu les
étranges coutumes et croyances, les paysages grandioses, le
fonctionnement administratif et la rigidité ritualisée qui en découle,
mais aussi sa poésie, « la soie, le jade sculpté, les intrigues de
cours, les étudiants et les courtisanes, les chevaux célestes, la
musique du pipa »... Les nombreux passages consacrés aux évènements
ayant lieu dans les steppes sauvages du nord de la muraille sont
également criants de réalisme, au point de faire complètement oublier au
lecteur tout ce qui se trouve alentours et de le transporter
directement dans ce décor splendide.
Mais là-où réside le véritable génie de l'auteur, c'est en ce qui
concerne les personnages. Au fil de mes multiples lectures, je n'ai
jusqu'à présent que rarement rencontré d'écrivain capable de créer un
lien si fort entre le lecteur et ses personnages. Qu'ils soient modestes
ou puissants, hommes ou femmes, sauvages ou civilisés, tous sont
bouleversants de vérité. On souffre avec eux, on espère, on se réjouit
ou s'étonne des tours étranges que peut jouer le destin, bref, on vit
avec chacun d'entre eux et c'est avec une profonde tristesse qu'on se
résigne à leur dire au revoir : Shen Tai qui, en voulant simplement
rendre hommage à la mémoire de son père, va se retrouver englué dans une
toile d'intrigues inextricable ; Bruine, la belle courtisane originaire
de Sardie ravageant les cœurs des puissants comme des humbles étudiants
; An Li, général ambitieux et retors ; Wei Song, guerrière kanlin
dévouée ; Sima Zian, poète de génie bien plus lucide sur les évènements
de son temps que ne le laisserait présager son appétit pour la bonne
chair et la boisson... Et encore ne s'agit-il là que des protagonistes
du roman qui comporte également son lot de personnages plus effacés, de
passage l'espace de quelques pages uniquement mais auxquels l'auteur
parvient à donner une véritable profondeur : « Les contes se composent
de nombreux fils plus ou moins épais. Même les personnages secondaires
vivent les aléas et la passion de leur vie jusqu'à leur mort ».
Avec « Les chevaux célestes », Guy Gavriel Kay renoue avec ce qu'il sait
faire le mieux : mêler fiction et histoire pour offrir à ses lecteurs
un portrait concis mais aussi très dense d'une époque troublée dans
laquelle des personnages tous très différents tentent tant bien que mal
de se frayer un chemin.
Publié le 23 juillet 2014