Anticipation dense et prenante qui imagine l'émergence d'un nouveau type de réseau, Les Machines fantômes flirte largement du côté du roman d'espionnage et beaucoup vers le thriller psychologique.

Libération
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Trader vieillissant, Adrien a réussi à rester incontournable dans sa société grâce notamment à l'appui secret de «machines fantômes» qui l'aident à briller sur les marchés financiers. Dans l'univers post-algorithmes du roman, en 2037, des acteurs qu'il faut savoir convoquer sont apparus. Ce sont finalement les nouveaux fantômes, immatériels mais très efficaces. Adrien a créé une application qui donne accès au lieu parallèle où agissent ces créatures, à cet interstice qu'elles utilisent pour échanger. Un univers égalitaire et coopératif. «Vaste orgie informatique, des milliers de neurones artificiels se transmettaient des données dans cette caverne désertée par les algorithmes.»

Pour séduire Hans, un beau jeune homme qui vient d'arriver dans l'entreprise, Adrien lui dévoile les capacités incroyables de cette force virtuelle. «Ce sont des machines, Hans, réparties sur la Terre entière, qui m'ont prêté une fraction de leur puissance. certaines sont gigantesques, souterraines, bunkérisées ; d'autres tiendraient dans la paume de ma main. Je ne les identifie pas toutes, elles se manifestent quand j'en ai besoin.» De même, Lou, qui fait partie de la guilde du jeu Runecraft où elle incarne une sorcière, se fait aider par une IA insérée dans un serveur. Mais elle s'est fait repérer par Xsaga, l’IA de Runecraft. «Tu manipules le hasard, peu importe la façon, mais tu choisis le résultat», lui dit Xandor, pour lui faire comprendre qu'elle a été démasquée. 

Frédérique Roussel, Libération

Adrien, Lou... Mais aussi Aurore, star de la pop dépassée par LéaH, la nouvelle coqueluche des jeunes, Kader, ex-tireur haute précision dans l'armée au syndrôme post-traumatique, Patrick, gardien de sécurité transsexuel : le roman met en place, chapitre après chapitre, une galerie de personnages divers. Leur point commun : ils sont tous, à un moment ou à un autre, mis en danger par Joachim, incarnation d'un certain cynisme et d'une agilité démoniaque, qui veut se servir des machines pour un sombre dessein, sans doute le contrôle total de notre société par ces IA. «Tu sais, ce monstre, il n'a pas 30 ans. Il vient vraiment de nulle part, comme s'il n'avait jamais eu de parents», dit-il de lui-même ironiquement.

La plupart des protagonistes ont aussi pour particularité d'être à l'aise dans une forme d'anonymat. Adrien, qui n'a jamais abusé de son pouvoir de trader, va bientôt devoir se fondre dans la ville sous la peau d'un SDF. Aurore aime se promener incognito et sait disparaître dans une foule. Kader, en tant qu'ancien membre des forces spéciales, fait partie de ces légendes qui restent à jamais dans l’ombre… Sommet dans le genre, Robert de Croye, dandy quinquagénaire en imper et panama blanc, incarne l'espion de haut vol, aux multiples identités.

Anticipation dense et prenante qui imagine l'émergence d'un nouveau type de réseau, Les Machines fantômes flirte largement du côté du roman d'espionnage et beaucoup vers le thriller psychologique. Une des armes les plus puissantes de Joachim, outre la mobilisation d'IA pour le protéger là où il va, se trouve dans le domino psychologique. «L'humain constitue la pire faiblesse dans une défense, dit celui qui n'a pas eu d'enfance, comme on dit, ou seulement pour être dressé. Je suis doué pour l'exploiter.» Il met le doigt sur la faille, la susceptibilité ou le traumatisme, et l’individu agit dans le sens qu'il souhaite. De la même manière que les machines modélisent joyeusement nos existences chez Olivier Paquet : elles se servent de nos données pour créer des histoires, les évaluer, les modifier. Pour leur plus grand plaisir.

Publié le 1 octobre 2019

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