Trader, rockeuse, sniper et vidéojoueuse : une formidable association improbable pour conjurer le mauvais usage terminal de ces routines et sous-routines informatiques devenues un peu plus que des fantômes au cœur de nos machines.
Dans les couloirs venteux des réseaux électroniques, des moteurs informatiques s’affairent. Certains présentent des caractéristiques très spécialisées, d’autres ont des compétences plus générales. La plupart peuvent mobiliser instantanément de gigantesques capacités de calcul qui dépassent de loin ce que leurs concepteurs initiaux ont pu imaginer au départ. Ces « intelligences artificielles », puisque c’est le nom qui leur échoit souvent par abus de langage, ont éventuellement leurs objectifs propres, le plus fréquemment insondables, mais beaucoup se laissent aisément convaincre de participer à certains « jeux » qui ont bien peu à voir avec leur cahier des charges « officiel ». Adrien, trader de très haute volée, machiavélique et néanmoins vieillissant, fait partie des rares initiés capables de dialoguer, sous une forme rudimentaire mais suffisante, avec ces entités mystérieuses que sont ces « machines fantômes ». Une chanteuse de rock qui n’a pas nécessairement pleinement envie de suivre sa voie désormais toute tracée, une joueuse experte de MMORPG qui ne révèle pas toujours toutefois à ses partenaires de jeu certaines techniques « un peu spéciales » qu’elle utilise pour se sortir de situations apparemment inextricables, ainsi qu’un militaire tireur d’élite gérant de son mieux un fort stress post-traumatique après une terrible « bavure », tandis que sa famille musulmane est plus qu’au bord de la déchirure, devront former avec Adrien un quatuor à la fois exceptionnel et improbable pour s’opposer à un intrus de génie, à qui a été imprudemment ouverte, telle une porte de Pandore, la voie de l’accès à ces intelligences d’un tout autre type.
Trois ans avant le passionnant Composite, Olivier Paquet publiait en 2019 à L’Atalante son huitième roman, première incursion redoutable et joliment spéculative dans un monde où rôdent désormais, sous des formes toujours à préciser, ce qu’il est convenu d’appeler intelligences artificielles.
Pour nous offrir un texte qui tient magnifiquement à distance nombre de considérations science-fictives sur ce sujet, motifs qui sont devenus progressivement de nouveaux clichés [...], l’auteur a su choisir une forme relativement inédite de réalisme, dans lequel les machines ne raisonnent en effet pas du tout comme nous, et dans lequel les programmes utilitaires développés pour notre confort, notre sécurité ou notre avidité déterminent largement les modalités de travail de ces fantômes. Ce réalisme relatif lui ouvre une voie souveraine, soigneusement notée par Tristan Garcia dans sa postface, vers la prise en compte du storytelling en soi, de la manière dont les récits, à toute échelle, de la plus individuelle à la plus englobante, deviennent les vecteurs rares d’une production de sens à moyen et long terme à opposer à un utilitarisme à court terme monstrueusement généralisé, et les moyens concrets d’associer sans les opposer la connaissance de l’Histoire à celle de la technologie.