Habitué au space opera ou à la dystopie, l'auteur arrive à naviguer entre les genres exigeants que sont l'anticipation et le techno-thriller. Il maîtrise les codes du roman policier et utilise la technologie pour bâtir son intrigue.

Le Point Pop
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Intelligences artificielles et manipulation sont imbriquées dans ce bon roman d'Olivier Paquet qui nous entraîne à Paris, en 2037.

Depuis quelques mois, les amoureux de l'anticipation sont aux anges. Ce sous-genre de la science-fiction aura été partout, au cinéma, en bande dessinée, en série TV et en livre. Imaginer le monde de 2030 à 2050 a été l'apanage de plusieurs romans dont Simili-Love d'Antoine Jacquier, La Transparence selon Irina de Benjamin Fogel et surtout Les Furtifs d'Alain Damasio. Ce dernier titre, défendu par Le Point Pop, a été un des événements littéraires de l'année, déclenchant un tsunami médiatique et un beau succès dans les libraires (85 000 exemplaires vendus). Heureusement, un après-Furtifs est possible. Même si elles sont rares à dénicher, quelques pépites existent encore et ouvrent une réflexion pertinente sur la société de demain. Les Machines fantômes d'Olivier Paquet est de celles-là. Son huitième ouvrage, signé aux éditions de l'Atalante, aborde la question des intelligences artificielles dans un techno-thriller bien ficelé.

Paris 2037, une manipulation à grande échelle se prépare à travers les IA. Dirigées par le mystérieux Joachim, certaines intelligences artificielles commencent à prendre leur indépendance à l'insu de la population. Un trader tombe pour une fraude massive, une chanteuse pop et une joueuse de jeux vidéo viennent de saborder leur carrière alors qu'un ancien tireur d'élite est suspecté par les services secrets d'un crime qu'il n'a pas commis. Tous ont croisé la route de Joachim. Ensemble, ils décident de s'allier face à ce génie du mal qui cherche à renverser notre société et à la remplacer par l'ère des machines fantômes. Oubliez les IA bavardes qui détruisent ou sauvent l'humanité proche du Cycle de la culture d'Ian M. Banks. Olivier Paquet a préféré prendre le genre à contre-pied. « Je voulais inventer une intelligence artificielle qui n'est pas dans le discours officiel pour sortir du schéma à la HAL 9000 dans 2001 Odyssée de l'Espace. Mes machines fantômes sont des IA qui interagissent étrangement avec les humains. »

« Ma vision est celle de la coévolution entre les humains et les machines »

Le roman construit son intrigue en se focalisant sur les personnages. Chaque chapitre est axé sur l'un d'entre eux. Tous les protagonistes symbolisent une réflexion sur le présent et une incursion des IA dans notre quotidien : le trading boursier à haute fréquence, les jeux multijoueurs, le renseignement militaire et les armes intelligentes développées actuellement par l'armée. L'auteur utilise son récit comme une interrogation autour de nombreuses thématiques comme l'oppression des réseaux sociaux, les relations complexes dans les communautés de gamers, les limites de la starification, la surveillance de masse progressive. La solitude des héros fait écho aux différentes problématiques contemporaines autour du numérique et de notre approche face aux IA. « Ce qui m'intéresse, précise Olivier Paquet, c'est de questionner les rapports que nous avons avec les machines. Mon idée est de proposer une solution pour sortir de cet aspect binaire entre la vision des pro-machines qui imaginent un monde merveilleux et celle des réactionnaires qui projettent une humanité menacée. Ma vision est celle de la coévolution entre les humains et les machines où tout doit fonctionner en même temps. »

Habitué au space opera ou à la dystopie, l'auteur arrive à naviguer entre les genres exigeants que sont l'anticipation et le techno-thriller. Il maîtrise les codes du roman policier et utilise la technologie pour bâtir son intrigue. Fait trop rare, sauf dans l'univers des jeux vidéo (Deus Ex, la franchise des Metal Gear Solid, ou celle de The Division d'Ubisoft). Les Machines fantômes offre de bons rebondissements dans cette histoire de manipulation familiale. Joachim, directement inspiré par Johan Liebert dans le manga Monster de Naoki Urasawa, n'est pas avare en coups tordus. Dommage qu'il soit légèrement prévisible dans son comportement et ses motivations. On regrettera aussi quelques petites baisses de rythme dans cette aventure. On aurait apprécié plus de situations explosives proches des bandes dessinées comme Carmen McCallumTravis ou encore Deux Ex, qui assument un côté série B avec son lot de fusillades et de règlements de comptes. L'approche réaliste a été privilégiée pour rendre crédible cette enquête. Agréable à lire, il s'agit du meilleur roman d'Olvier Paquet.

Par Lloyd Chéry

Publié le 29 août 2019

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