Dès le début de ma lecture, j’ai été agréablement surprise par le style d’Olivier Paquet très accessible et loin de l’image que je peux me faire des livres de science-fiction. Il faut dire qu’ici l’univers, bien que futuriste, est très proche du nôtre, les technologies présentes étant des améliorations de l’existant plutôt que des innovations de rupture. Facile donc pour les lecteurs de s’approprier cette France dans laquelle les intelligences artificielles (IA) ont toute leur place et semblent autant vecteur de progrès que de menace, a fortiori quand un homme est déterminé à bouleverser l’équilibre établi entre monde réel et monde virtuel.
Y arrivera-t-il ? Pour le savoir, il vous faudra lire le roman, mais je peux néanmoins vous assurer que l’auteur a réussi à construire une histoire pleine de tension et de suspense dans laquelle un homme, un peu fou à moins qu’il ne soit visionnaire, désirant laisser le sort de l’humanité au bon vouloir de machines sans corps, va se heurter à des personnes bien décidées à contrecarrer ses projets. Grâce à une narration alternée plutôt bien amenée, nous découvrons ainsi progressivement les acteurs de ce techno-thriller mené tambour battant. Mais la véritable force de l’auteur est d’avoir réussi à faire d’individus très différents, et plutôt solitaires, une équipe unie autour d’un ennemi commun.
Adrien, trader chez Optired qui carbure à l’adrénaline, a une botte secrète, une application qui lui permet de contacter des IA. Il s’est ainsi allié à une petite armée qu’il mobilise en fonction de ses besoins. Homme prudent, il va néanmoins commettre une erreur en se confiant à la mauvaise personne, et découvrir que même les meilleurs conteurs d’histoires comme lui ne sont pas à l’abri des fictions des autres !
La route d’Adrien croisera celle de Stella McCall alias Aurore, une chanteuse au succès mondial en perte de vitesse, qu’il va, avec ses alliés invisibles, épauler dans sa bataille contre un homme bien décidé à utiliser son image d’icône pour créer le futur dont il rêve. Un homme qui fera également une entrée fracassante dans la vie de Kader, un ancien membre des forces spéciales qui prend soin, dans le civil, d’un grand-père fort peu reconnaissant… On comprend alors que l’ancien militaire rêve de retrouver sa place au sein de l’armée et sur le terrain, là où sa couleur de peau et ses origines n’ont que peu d’importance. Quant à Lou, ingénieure dans la vraie vie et gameuse de haut vol durant son temps libre, elle se révèle trop intelligente pour son propre bien et a le malheur d’attirer l’attention sur elle. C’est que ses coups d’éclat qui enchantent sa ligue ne sont pas le fruit du hasard, mais le résultat de sa petite incursion du côté des serveurs de Runecraft…
La guerre des nerfs entre notre antagoniste et les autres personnages prend une dimension d’autant plus intéressante qu’elle se répercute dans le monde virtuel. Les IA s’organisent par elles-mêmes, se divisent, adoptent la position de telle ou telle partie et mettent tout en œuvre pour protéger leur poulain. Le rapport de force et de pouvoir entre humains et IA semble ici sur le fil du rasoir, et l’on sent que dans un futur, plus ou moins proche, il suffirait d’une étincelle pour qu’il s’inverse. L’auteur laisse ainsi entrevoir la possibilité/le risque d’un monde où les IA ne seraient plus au service des hommes, mais deviendraient des entités toutes-puissantes qui les contrôleraient. En témoignent d’ailleurs, ces quelques chapitres dans lesquels des IA simulent, modélisent et pondèrent afin de créer leurs propres fictions.
Toutefois, si la menace virtuelle est réelle, c’est bien notre antagoniste qui en est le fer de lance si ce n’est l’investigateur. Intelligent avec toujours un coup d’avance, déterminé, extrêmement bien entraîné, il dégage une noirceur et une complexité qui ne pourront que tenir en haleine les lecteurs impatients de découvrir jusqu’où ses nombreuses manigances vont le mener. Manipulations et jeux de pouvoir sont donc au rendez-vous, le jeune homme ne laissant rien au hasard… Mais quand l’on voit les maux de cette société futuriste si proche de la nôtre, on ne peut que se demander si son projet est si absurde que cela : perte de sens, racisme, intolérance poussant des parents à renier leur propre enfant, méfiance mutuelle, terrorisme, économie libérale et destructrice, abrutissement des masses… Les IA, sans corps ni âme, guidées non pas par l’appât du gain, mais par l’optimisation de la société, feraient-elles vraiment pire que les hommes ?
Chacun se fera sa propre opinion, mais ce qui est certain, c’est que l’auteur a réussi à rendre un personnage détestable plus complexe qu’il n’y paraît, notamment en nous faisant découvrir son éducation dans la dernière partie du roman. Sans excuser son comportement ni ses agissements, cela nous permet de mieux comprendre comment il en est venu à perdre foi en l’être humain et en l’humanité…
En conclusion, grâce à une narration alternée plutôt bien amenée, l’auteur nous propose un roman immersif et palpitant mettant en parallèle une humanité déshumanisée et une vie virtuelle en pleine restructuration. Cette question de la relation entre les hommes et les IA, entre coopération et affrontement, rend la lecture particulièrement intéressante d’autant que l’auteur a veillé à proposer une histoire riche et complexe, mais très simple d’accès. Voici donc un roman futuriste, mais réaliste, intelligent et riche en actions que je ne peux que vous conseiller !