C’est aussi un hommage à l’écriture comme vecteur de liberté pour soi et pour autrui.

Dons - Présences d'esprit

Le lecteur non averti est pris par surprise, j’oserai dire à rebrousse-poil, en découvrant un monde bien différent de "Terremer" ou de "l’Ekumen". Si les collines de son Entreterre rappellent irrésistiblement une Écosse parallèle telle que l’a exploitée Gemmel, avec ses clans rivaux qui passent leur temps à se voler du bétail ou des bouts de terre ; si, comme Marion Zimmer Bradley dans le cycle de Ténébreuse, Ursula K. Le Guin lie les talents psy à une lignée familiale, les Pouvoirs évoqués sont bien plus sombres et effrayants que les manipulations des sorciers de Rokke ou le laran des Comyn. À quelques exceptions près, ils semblent voués uniquement à la destruction, qu’il s’agisse, par le geste et la parole, de défaire les chaînes moléculaires d’une créature humaine, animale ou végétale, de tordre le corps d’autrui ou d’asservir les volontés. Et le pire de tous, hélas possédé par une crapule, l’atrophie, qui jette sur la cible une maladie dégénérative.
Dans ce contexte féodal, où le détenteur du don le plus fort, homme ou femme, devient le chef, le brantor, de son domaine, deux adolescents, Orrec et Gry, futurs brantors de leurs domaines respectifs, sont horrifiés par l’aspect négatif de la capacité familiale. Orrec porte sans cesse un bandeau quil’aveugle de peur que son Pouvoir incontrôlé détruise tout ce qu’il regardera. Gry perçoit les émotions des animaux et des jeunes enfants, elle est capable d’appeler et d’immobiliser une bête, mais s’oppose à ce que ce soit pour permettre aux chasseurs ou aux bouchers de la tuer. Or, s’ils refusent leur pouvoir, ils refusent aussi d’être utiles à la communauté et se placent en conflit avec leurs parents. En fait, c’est la venue insolite d’un électron libre, vagabond des Basses Terres, un peu escroc et voleur sur les bords, qui va cristalliser ce malaise et peut-être leur offrir une solution.
L’histoire, dont Orrec est le narrateur, s’inscrit en analepse entre l’arrivée d’Emmon, plein d’inconscience et de questions, et son départ avec de l’argenterie et des bijoux dérobés. Mais il a fait à Orrec un cadeau inestimable, celui d’un vrai livre !
C’est un récit sociologique, comme toujours chez le Guin, mais également un roman d’éducation, une réflexion morale et philosophique sur le pouvoir et le libre-arbitre, où les animaux sont traités en personnes. C’est aussi un hommage à l’écriture comme vecteur de liberté pour soi et pour autrui. Ce roman, première "Chronique de la série des Rivages de l’Ouest", nous fait retrouver à titre posthume, mais avec plaisir, une grande dame de la science-fiction.


Marthe ‘1379’ Machorowski

Publié le 28 octobre 2025

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