Comme pour le premier tome, Becky Chambers choisit de se concentrer sur le quotidien, sur le psychologique, sur la culture et les rapports humains plutôt que sur l’action. Elle invite son lecteur à se poser des questions fondamentales qu’on peut aisément transposer à notre époque. Si vous cherchez des batailles spatiales, des explosions et des enjeux à l’échelle galactique alors passez votre chemin car ce n’est pas chez Becky Chambers que vous trouverez votre bonheur. Ici, on cause éthique, origine de l’intelligence et de la conscience, pluralité culturelle… Les problèmes rencontrés par les personnages entrent dans le registre du quotidien et ne vont pas au-delà. Évidemment, Sidra craint qu’on la découvre et que cela attire des ennuis à ses amis mais au-delà de ça, il n’y a pas énormément de tensions narratives.
Sauf dans les chapitres qui se déroulent dans le passé. La jeune Jane s’enfuit de l’usine où elle était enfermée et découvre le monde en partant de zéro. Pour vous situer, même le ciel, elle ne connaissait pas. Imaginez l’horreur… Elle rencontre dans la décharge l’I.A. d’un vaisseau cloué au sol depuis cinq ans, prénommée Chouette. Chouette va lui apprendre tout ce qu’elle sait sur l’U.G., les espèces, le klip (la langue commune) ce qui donnera lieu à certaines réflexions plutôt sympathiques et à des expériences dans les sims qui m’ont un peu rappelé l’époque où, enfant, je jouais à Adibou. Pour survivre, Jane va devoir apprendre à chasser les animaux de la décharge et développer son propre but : réparer le vaisseau pour quitter la planète. Ces chapitres dans le passé s’étendent sur plusieurs années, en commençant quand Jane a 10 ans jusqu’à ses 19 ans puis en continuant dans le présent sous l’appellation « Poivre ».
Dans l’ensemble, Becky Chambers maîtrise admirablement l’aspect psychosocial de son roman. Elle a pensé à tout et son texte en devient fascinant. Elle déborde d’imagination et le degré de détails, leur crédibilité, m’impressionne. Son univers s’étoffe encore et le fait qu’elle se concentre sur seulement deux personnages a rendu Libration plus intéressant et facile à suivre que L’Espace d’un an.
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Pour résumer, Libration est un roman de science-fiction psychosociale centré sur les rapports humains et les questions éthiques autour de l’intelligence artificielle. Becky Chambers n’écrit pas de la SF « traditionnelle » : on aime ou on n’aime pas mais on ne peut pas lui retirer son talent ni son originalité. On découvre de quelle manière l’I.A. Sidra s’adapte au monde maintenant qu’elle vit dans un kit et le passé tragique d’une protagoniste du tome précédent, les deux étant liés. Ce n’est pas un roman plein d’action ou de rebondissements, loin de là, mais il n’en reste pas moins intéressant et intimiste. Je le recommande volontiers pour l’expérience unique (du moins selon mes connaissances) qu’il constitue.