À la fin du premier tome de cette trilogie, Lovelace, une intelligence artificielle née à bord du vaisseau Voyageur, se transfère dans un corps synthétique, un « kit ». L’adaptation ne va pas sans mal, les limitations de ce corps l’étouffent, et elle ne sent pas elle-même, ne sait pas (plus ?) qui elle est. À ses côtés, Poivre la tech, qui tente de l’aider au mieux. Mais Poivre lutte avec ses propres démons : ancienne enfant esclave, humaine améliorée destinée à trimer toute sa vie dans une usine sous la surveillance des Mères, des IA dont les seules fonctions sont surveiller et punir, elle a survécu par miracle. Ces deux-là vont se battre pour leur liberté, pour se construire une identité, pour conquérir leur dignité.
Les chapitres naviguent entre les personnages, distillant petit à petit le passé de Poivre qui nous permet de mieux connaître et comprendre la jeune femme, mais éclaire également les difficultés de Sidra (Lovelace). L’adaptation et l’intégration sont au cœur du récit, dans cette société interplanétaire, interespèces, fondamentalement multiculturelle. S’y ajoute une interrogation plus personnelle, que les deux protagonistes vont devoir résoudre : « qui suis-je vraiment ? ». Les notions d’humanité, d’intelligence, de l’Autre, d’amitié, de fidélité, sont évoquées avec subtilité et d’émotion.
On ne retrouve pas dans ce second volume les autres membres de l’équipage du Voyageur, mais l’univers est bien le même, avec ses nombreuses races extraterrestres, dont chacune possède des caractéristiques et une culture bien à elle. Si ce tome peut quasi se lire indépendamment du premier, il serait dommage de se priver des formidables personnages qu’il présente, et du background important qui sert de toile de fond à Libration.
Ce n’est pas un roman d’action, mais de réflexion, d’intelligence, de bienveillance. Sans aucune mièvrerie, l’autrice nous passionne pour la vie des deux héroïnes, leurs souffrances, leurs difficultés, mais également leurs joies, leurs luttes, leurs victoires. Si l’histoire est très centrée sur Poivre et Sidra, les personnages secondaires ne sont pas en reste, en particulier Tak qui se révèle bien plus complexe qu’il n’y semblait, et Bleu, l’artiste compagnon de Poivre, dont on découvre le passé, lié à celui de la tech.
Prix Hugo de la meilleure série littéraire.
Sylvie Gagnère