Il ne fait aucun doute désormais que Becky Chambers tient désormais une place de choix dans mon panthéon personnel. Et aucun mot ou expression que je pourrais sortir de mon cerveau ne saurait rendre justice à la force de ce qu’elle est capable d’écrire, ni à l’impact que ses romans auront eu sur moi.

Libration - Le Syndrome de Quickson
Article Original

Après la lecture de L’Espace d’un An, il n’y avait aucune place pour le doute dans mon esprit. Cette suite allait me plaire. La crainte de la déception restait présente, tant le premier volume constituait une réussite unique dans la longue histoire de mes découvertes littéraires, mais j’avais confiance en Becky Chambers (et sa traductrice Marie Surgers, encore un grand bravo) pour conserver les éléments qui avaient su me conquérir.

Autant dire que j’ai été conforté dans mon opinion en seulement quelques pages. Je ne m’attarderai pas sur l’intrigue en elle-même, découlant directement du premier tome, sans pour autant en être une suite directe, histoire de tout de même éviter les spoils. Ce choix de relative continuité nous donne l’occasion d’approfondir des éléments de l’histoire précédente qui n’avaient été que partiellement abordés, en explorant le même univers sous des angles différents avec des personnages qui ne nous sont pas inconnus, mais dont on pouvait, et voulait savoir plus. Ce qui donne un résultat à mi-chemin entre la familiarité et l’exploration, un mélange formidable, une sorte de voyage en fauteuil. Autant vous le dire tout de suite, il n’y aura pas beaucoup de mauvaise choses à lire dans ce qui suit.

On retrouve d’abord la principale qualité de Becky Chambers, à savoir ses personnages et les dialogues qui vont avec. Tout sonne juste, et on se sentirait presque en famille, dans tous les moments qui nous sont contés, les agréables comme les plus difficiles. De simples détails, tics de langage ou spécificités de narration qui nous ancrent par petites touches dans les psychologies des différents protagonistes et nous font avancer avec eux au fil de leurs histoires respectives ; et surtout nous attachent à eux de façon indélébile. De nombreux détails qui nous signalent des événements à venir ou nous rappellent à des souvenirs du tome précédent, jouant habilement avec la temporalité des différentes chronologies qui nous sont racontées, en fonction du personnage concerné, reconstituant petit à petit le grand tableau dans lequel tous nos héros sont peints avec précision et une grande élégance.

Et si l’intrigue en elle même est légère, c’est aussi pour laisser toute la place nécessaire à ce qui selon moi constitue le cœur de Libration, et ce qui, plus discrètement, faisait également la force de L’Espace d’un An ; la réflexion. J’ai déjà exprimé l’idée dans ma chronique sur Les Seigneurs de Bohen : l’Imaginaire n’est jamais aussi fort que lorsqu’il nous tend un miroir déformant, nous amenant à nous interroger sur des questions qui nous concernent directement, mais avec des termes différents, dépouillées de certains préjugés ou se parant d’aspects nouveaux qui changent nos perspectives et nous permettent donc de réfléchir différemment.
Or, Becky Chambers pose en filigrane à son récit une myriade de questions brillantes sur notre rapport aux autres, sur ce qui nous anime, ce qui fait ou non de nous des créatures conscientes, travaillant encore au corps la matière qu’elle avait commencé à étudier avec nous dans le tome 1. Son univers est vivant parce qu’il est habité, de personnages qui ont chacun leurs doutes et leurs certitudes à bousculer. Chacune de leurs interrogations sont à quelques mots près les mêmes que les nôtres et les voir avancer sur leur propre chemin éclaire le notre.

Je dirais qu’à l’instar de certains grands noms de la littérature, l’une des qualités qui m’émeut particulièrement chez Becky Chambers, c’est sa capacité à nous rappeler que le trajet est plus important que la destination. Et si cet adage n’est pas vrai pour tout le monde, ou tout du moins ne résonne pas avec la même exactitude en chacun de nous, la propension des ouvrages de l’autrice à provoquer chez moi une certaine mélancolie teintée de nostalgie me parait assez universelle. Plus d’une fois j’ai souri de la beauté simple d’une image, pour la poésie ou la pure sincérité qui s’en dégageait, comme j’ai pu rire à gorge déployée à la lecture de certaines répliques, chose qui dans ma vie n’est arrivé que rarement (à la lecture de Terry Pratchett ou d’Alexis Flamand par exemple), ayant une lecture très intérieure. Et comme pour le premier tome, c’est à regret que j’ai fermé le livre, simplement parce que je n’aurais pas boudé quelques heures de voyage supplémentaire en compagnie d’êtres exceptionnels qui ont su m’apprendre des choses sans même essayer de le faire.
C’est à mes yeux un talent rare pour un auteur ou une autrice d’être capable de vous emmener si loin dans son histoire que vous puissiez vous sentir synchrones avec l’émotion des personnages sans avoir à vous interroger sur le sentiment que vous devriez ressentir ; car il devient évident, et s’écrit quelque part entre les lignes.

Une fabuleuse lecture donc. L’exemple parfait de ce que l’Imaginaire a à offrir de mieux : des récits universels parés d’atours de lumières et d’ombres, aux couleurs infinies, qui savent vous surprendre, à la fois par la richesse de ce qui y est construit, mais aussi et surtout par la pléthore de questions philosophiques et profondément humanistes qu’ils peuvent soulever sans sembler en faire l’effort. Le troisième tome est déjà dans ma PàL, nul doute qu’il ne tardera pas à passer sous mes yeux, tout comme il ne fait aucun doute désormais que Becky Chambers tient désormais une place de choix dans mon panthéon personnel. Et aucun mot ou expression que je pourrais sortir de mon cerveau ne saurait rendre justice à la force de ce qu’elle est capable d’écrire, ni à l’impact que ses romans auront eu sur moi.
C’est beau, c’est grand, lisez-en.

Publié le 14 février 2020

à propos de la même œuvre