Elle nous montre qu’on peut écrire des histoires passionnantes et feel-good, qu’on peut porter la bienveillance comme un étendard et rester pertinente dans sa démarche et sa narration. Il nous faut plus d’auteurices comme Becky Chambers.

Libration - L'Ours inculte
Article Original

Période de merde ? Fatigue ? Ambiance anxiogène ? Envie de tout cramer ? Je crois qu’il est l’heure de ressortir un Doudou de l’espace ! Après L’Espace d’un an qui a fait du bien, tentons la suite de la série Les Voyageurs avec Libration qui a déjà la bonne idée de nous cultiver en nous faisant découvrir un mot. Ça part pas mal donc.

Lovelace s’est enfuie avec Poivre pour un nouveau départ, mais elle est maintenant dans un kit, un corps humanoïde pour IA, ce qui est complètement illégal. C’est aussi très déstabilisant parce qu’elle est conçue pour occuper un vaisseau, contrôler complètement son environnement et la voilà dans un machin tout petit avec un cône de vision restreint et pas de connexion permanente aux Liens. Maintenant elle doit s’habituer à sa nouvelle vie, sa nouvelle carcasse, tout ça sans se faire remarquer. C’est aussi à Poivre de lui faire une place, elle qui a grandi seule, dans une décharge, bricolant pour sa survie.

Vous savez, moi la SF, bof. Et en plus, je n'aime pas les histoires d’IA. C’est peut-être le programmeur en moi qui trouve ça débile, la pauvreté des traitements que j’ai déjà lus sur le sujet, ou juste que je préfère quand il y a des protagonistes humains… Je ne sais pas, je n'aime pas les histoires d’IA. Bref. Tout ça pour dire que j’ai adoré Libration. Parce que c’est une histoire de personnages qui cherchent leur place, dans le monde, dans leurs corps, dans leurs familles. C’est une histoire de personnages qui s’appuient les uns sur les autres pour s’aider, se guider, se comprendre. Et dans la continuité de L’Espace d’un an on découvre cet univers pacifique où les espèces ont fait tomber les barrières pour vivre ensemble et s’adapter les uns aux autres. Et déjà c’est beau, ça fait beaucoup de bien à lire.

Pendant tout le roman on va alterner deux points de vue, chacun dans une temporalité différente. D’un côté on suit Lovelace/Sidra dans sa découverte de son nouvel environnement, de son nouveau « corps » et des relations sociales que ça implique. Et en alternance on suivra Jane 23, une enfant esclave qui trie des déchets de tech sous la surveillance des « mères », des IA qui encadrent ces équipes de petites filles. On comprend tout de suite que Jane est Poivre donc ce n'est pas vraiment un spoiler (puis c’est en quatrième de couv), tout l’intérêt de la construction du bouquin sera d’observer leurs trajectoires à chacune, et comment l’histoire de l’une se reflète sur l’autre. Le changement de perspective, le cheminement du corps, le changement d’environnement subit auquel on s’adapte, l’acceptation et le rejet.

Le rapport de Sidra à son kit est à la fois très pertinent et touchant, parce que c’est très humain cette sensation de pas être tout à fait dans le bon costume. On a toutes et tous (enfin, je crois, moi oui en tout cas) ressenti ce décalage à des degrés divers, c’est ce qui fait qu’on peut s’identifier à l’IA dans sa quête. La discussion entre Sidra et Tak sur les tatouages et la réappropriation du corps résonne chez l’IA pour cette raison. Et chez nous, donc. L’autrice réussit également à incarner Jane parfaitement, la fillette de 10 ans qui se retrouve complètement larguée dans le vaste monde alors que son univers se limitait à une usine, c’est fort, c’est vertigineux et on veut suivre cette aventure. La relation avec Chouette permet d’explorer encore ce thème des IA mais surtout des sentiments, des relations, des manques et des moyens de survivre émotionnellement.

Encore une fois, Becky Chambers tape juste et apporte un peu de réconfort avec Libration. Elle nous montre qu’on peut écrire des histoires passionnantes et feel-good, qu’on peut porter la bienveillance comme un étendard et rester pertinente dans sa démarche et sa narration. Il nous faut plus d’auteurices comme Becky Chambers.

Publié le 28 mars 2023

à propos de la même œuvre