C'est un texte quasi hypnotique que nous livre Olivier Bordaçarre. Court, percutant, dérangeant, glaçant, il ne nous lâche pas.

Appartement 816 - Libération
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Claustrophobes, ce polar n'est pas pour vous, sauf si vous êtes masos. Il se déroule dans un appartement où le narrateur, Didier Martin, est enfermé avec sa femme Karine, son fils Jérémy (17 ans), et son chien Bruno. Le monde vit une nouvelle pandémie et le pays a décrété une période d'isolement général total (IGT). Six mois que ça dure et l'on sent la tension monter derrière les mots du quotidien. Cette famille-là est réunie mais beaucoup sont éparpillées.

On peut être en IGT seul, à deux, trois ou quatre, pas plus. Les familles nombreuses doivent fournir toutes sortes de déclarations, demandes de dérogation et d'autorisation pour ne pas être scindées.

Les contraintes sont celles d'une société carcérale. Interdiction d'ouvrir la fenêtre plus de quelques minutes par jour, sinon les drones alertent les autorités et les amendes sont conséquentes. Une fiche journalière de présence doit être adressée à la préfecture afin de produire des statistiques sur l'état sanitaire de la population qui doit se tester régulièrement. Un réseau social agréé baptisé Rezo permet à ceux qui le souhaitent de publier un journal d'isolement. Et le ravitaillement est livré en fonction d'état des stocks, en général des boîtes de pois chiches et de thon.

Quelque chose cloche

Didier Martin est comptable, il a 41 ans, aime l'ordre, l'autorité et la calme. Et aussi le beau temps qu'il guette chaque matin derrière sa fenêtre, c'est plus propre quand le ciel est bleu. Il n'a qu'une passion, un immense aquarium dans lequel nagent des poissons exotiques. Il peut rester des heures à les regarder évoluer. Dès les premières pages, on sent qu'il a envie d'écrire, il commande des feutres indélébiles à pointe fine et l'on n'y prête pas plus attention que ça. Il raconte que l'envie lui est venu avec l'isolement.

On peut donner son avis sur la façon dont on a vécu telle ou telle période et celle qu'on préfère. Je n'écris pas sur l'ordinateur (sauf quand j'utilise Rezo ou autres), je ne sais pas taper assez vite, je favorise les feutres indélébiles et la variété des surfaces (portes, meubles, murs…). Bien sûr, avant de proposer mon journal aux services de relecture, il faudra que je le relise moi-même au préalable afin de ne pas laisser de choses blâmables et surtout que je le recopie proprement.

À ce stade, on sent juste que quelque chose cloche. Mais quand cet homme sans histoire décide de tuer son chien, car il n'en peut plus de le sortir sur le balcon et de ramasser ses crottes, quand on le voit découper Bruno en morceaux pour mettre ceux-ci dans des sacs-poubelles qui seront aspirés, ni vu ni connu, par les services de nettoyage de la ville, on comprend qu'il a pété les plombs. Et la suite va le prouver.

C'est un texte quasi hypnotique que nous livre Olivier Bordaçarre. Court, percutant, dérangeant, glaçant, il ne nous lâche pas. On est hypnotisé par la folie de cet homme ordinaire qui pourrait être votre voisin en période de confinement. Au risque de causer votre perte.

Libération

Publié le 24 novembre 2021

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