Il vous faut lire ce roman pour ne pas devenir un mouton de plus.

Appartement 816 - Black Novel1
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Olivier Bordaçarre est un auteur décidément à part dans la paysage littéraire français. Il a l’art et le talent de prendre une intrigue plongée dans notre quotidien et de faire dévier la trajectoire vers des zones que le lecteur ne peut envisager. C’est encore le cas ici et c’est encore une fois une grande réussite.

Dans un futur proche, la France ne s’en sort pas du virus, et alterne entre IGT (Isolement Général Total), IGP (Isolement Général Partiel) et IGSP (Isolement Général Semi-Partiel). Les habitants sont confinés chez eux avec des interdictions d’ouvrir les fenêtres. Les ravitaillements sont assurés par des drones et le télétravail est obligatoire. Les contrevenants sont condamnés à des peines allant d’une simple amende à une peine de prison.

Certains ont des difficultés à s’y faire. Ce n’est pas le cas de Didier Martin. Son travail de comptable lui permet de rester en télétravail et les jours passent tranquillement avec sa femme Karine et son fils adolescent Jeremy. Ce jour-là, il a bien rempli sa FJP (Fiche Journalière de Présence) et le résultat de son test hebdomadaire : Négatif. Heureusement que l’Etat est là pour assurer la sécurité des citoyens !

Didier Martin ne remet pas en cause les décisions de l’Etat, il les accepte et les trouve même normales. Il prend cette privation des libertés, ces obligations comme une nécessité pour combattre le virus. En manque de communication à force de ne côtoyer que des sites Internet, il commence à écrire des morceaux de vie, une sorte de journal, sur les murs de son appartement.

Fidèle à ses derniers romans, Olivier Bordaçarre prend une situation que nous connaissons tous (malheureusement) et grossit le trait, pour construire une intrigue terrible et mieux montrer voire dénoncer certaines situations. Pousser le thème du confinement à son extrême, présenter un personnage servile, et imaginer ce que serait notre vie sans droit de sortir, de parler, de vivre, voilà le programme de ce roman et vous n’êtes pas au bout de vos surprises.

Le roman ne nous laisse pas de répit, nous plongeant dans un contexte auquel on adhère tout de suite, grâce aux abréviations que j’ai présentées plus haut mais aussi aux explications simples qui nous décrivent comment doit se dérouler la nouvelle vie. Et cela tient beaucoup au personnage de Didier Martin, le narrateur, qui se présente comme un bon père de famille, entouré de sa femme qui le brime et son fils sans cesse plongé dans son portable.

A lire les écritures de cet homme qui applique à la lettre ce que le Gouvernement lui demande, qui écoute servilement les informations et acquiesce à toutes les décisions, l’auteur nous montre une société de moutons, incapables de se révolter et encore plus de réfléchir au-delà de ce qu’on lui impose. Olivier Bordaçarre nous présente l’adaptation de l’Homme à son extrême, acceptant son destin sans rechigner. Didier Martin représente aussi la figure d’un homme qui se recroqueville, qui s’enferme dans sa taverne, devenant une bête dès qu’on vient le déranger.

On ne peut qu’être époustouflé par le style employé par l’auteur, se fondant totalement dans son personnage, sans jamais être explicite, laissant le lecteur en tirer ses propres déductions. Et petit à petit, Didier Martin, personnage que l’on comprend sans pour autant le défendre, va laisser planer des zones de doutes, créer un malaise avant de nous dévoiler une réalité terrible, fortement dérangeante.

Il ne faut pas prendre ce roman pour un journal du confinement ; on y trouve une vraie psychologie, une vraie histoire et surtout une formidable réflexion sur la façon dont le peuple est dirigé et sa capacité d’acceptation d’une situation qui nous semblerait impossible il y a seulement quelques années. Il y a une phrase que j’aime bien : Réfléchir, c’est déjà se révolter. J’ai envie d’ajouter : et inversement. Et ce roman en est une excellentissime illustration. Il vous faut lire ce roman pour ne pas devenir un mouton de plus.

Pierre Faverolle

Publié le 28 janvier 2022

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