Le style est sobre, direct, efficace, et la plongée dans l'univers délicieusement kafkaïen de l'Appartement 816 fut pour moi une vraie réussite !

Appartement 816 - Gabb Babelio
Article Original

Si je vous dis "Virus, confinement, télétravail, courbes et décomptes, pass sanitaire", ça vous parle ?
Tant mieux, en poussant la porte de l'Appartement 816, vous ne devriez pas être trop dépaysés.
Encore que...
Mais ne brûlons pas les étapes, équipons-nous du masque obligatoire et commençons la visite.
Dans le salon, voilà Didier Martin.
Petit comptable discret, discipliné, propre sur lui. Comme le reste de la population Monsieur Martin est cloitré chez lui avec femme et enfant, tous soumis à un confinement drastique visant à engiguer la pandémie qui depuis 3 ans (!!!) ravage le pays (toute ressemblance avec des faits réels n'aurait bien sûr rien de fortuite...)
Dieu merci, le Gouvernement veille : Didier et ses compatriotes sont entre de bonnes mains ! Les mesures d'exception se succèdent, chacun remplit consciencieusement sa FJP (Fiche Journalière de Présence) et se plie de bonne grâce à l'alternance des IGT (Isolement Général Total), IGP (Isolement Général Partiel) et autres IGSP (Isolement Général Semi-Partiel).
Et que fait Didier, au milieu du salon ? Il écrit, pardi !
Chaque jour, le petit comptable tient un journal de bord et nous décrit en détail son emploi du temps, le contenu des livraisons alimentaires organisées par le ministère, le conflit larvé qui l'oppose à son fils de 17 ans, la joie qui l'envahit quand un décret exceptionnel l'autorise à entrouvrir sa fenêtre de deux centimètres, son incompréhension puis sa colère face aux quelques écervelés qui, non contents d'enfreindre l'assignation à résidence, mettent en danger l'ensemble de la communauté nationale...
Et puis bien sûr sa confiance aveugle en l'État ("Il y a des raisons à cet Isolement, on n'isole pas les gens par plaisir. Je n'ai pas les compétences pour remettre en question les décisions prises. Mon esprit critique s'exprime autrement et dans d'autres circonstances, je ne suis ni policier, ni scientifique, ni responsable politique. Moi, je suis comptable.")
Un témoignage honnête, donc, et le récit d'un quotidien réglé comme du papier à musique, dont tous les faits notables sont soigneusement consignés.
On s'occupe comme on peut.
Très vite pourtant, tout déraille. L'exercice d'écriture et de transparence, d'abord destiné à tromper l'ennui, tourne peu à peu à la confession malsaine.
Lorsque Didier se met à rédiger ses comptes-rendus à même les murs, placards, vitres et surfaces planes de l'appartement (au moyen de ces fameux feutres à pointes fines qu'il commande par dizaines sur un site de e-commerce universel nommé Mississipi [suivez mon regard]), le lecteur comprend que notre citoyen modèle n'est peut-être pas si équilibré que ça.
"Complètement timbré" serait peut-être même plus juste.
On nageait jusqu'alors dans l'absurde, on se noie à présent dans l'horreur.
Le style est sobre, direct, efficace, et la plongée dans l'univers délicieusement kafkaïen de l'Appartement 816 fut pour moi une vraie réussite ! (quoi ? Vous pensez que je devrais consulter ?)
En recevant ce petit livre (gentiment offert par Babelio et les éditions de L'Atalante) je craignais pourtant un peu l'overdose, après des mois et des mois de BFMTV, de gestes barrières et de restrictions sanitaires... Bien heureusement il n'en fut rien !
Qu'il fut grisant au contraire de cotoyer ainsi la folie pure, de presque la toucher du doigt !
Vous l'aurez compris : le texte éminemment actuel d'Olivier Bordaçarre m'a fait forte impression.
En plus de nous révéler par paliers progressifs l'intimité tourmentée d'un homme malade (psychopathe-né ou fragile victime d'une crise sans précédent ?), l'auteur nous alerte évidemment sur les dérives d'un système au bord de la démence, l'empilement infini de règles nouvelles et d'interdits de moins en moins rationnels, et les effets psychiques d'un confinement prolongé.
Force est de reconnaître que le résultat est tout à fait effrayant...
Prêts pour la 5ème vague ?

Gabb

Publié le 28 octobre 2021

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