On cherche toujours à définir le roman noir ou toute autre forme de ce qu’il est convenu de nommer le polar ou pour utiliser de belles paraphrases « le genre que nous aimons », « notre objet de passion ».
En lisant Appartement 816, il m’en est venu une. La surprise dans le roman noir c’est qu’il n’y a pas de surprise. Dès le début, on en connaît la fin. C’est une voiture qui fonce droit vers un mur sans qu’aucun de ses protagonistes ne songe à appuyer sur le frein.
Ici, le protagoniste est un homme confiné avec sa famille (sa femme, son fils, son chien) dans un monde dystopique qui ressemble étrangement à celui de notre monde vérolé. Il nous fait part de ses considérations météorologiques, de l’espace dans lequel il se meut, de ce qu’il pense de ses congénères, de son chien et de ses poissons exotiques.
Quelques détails nous font, non pas craindre le pire, mais nous persuadent qu’il va arriver. C’est une descente dans la tête d’un homme qui ne va pas bien comme une montée d’acide ou une bouffée de bonheur irrespirable, tout se trouble, tout prend une autre ampleur, une autre signification et il se modèle lui-même une pensée, se forge un avis, s’impose des actes à suivre, se convainc d’agir, d’avancer car il pense que « l’ennui n’existe pas », « Et même quand on ne fait rien, on fait quelque chose. ».
La surprise, c’est donc non ce qu’il a fait mais comment il est arrivé à l’accepter et comment il peut le raconter ainsi, dénué de toute empathie ou toute situation devient un problème et tout problème doit trouver une solution : le chien qui crotte sur le balcon, le fils qui hurle sa musique et la femme qui se détache de lui.
Le héros fait partie des gens qui classent tout de manière dichotomique entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, et qui trouve à tout ce qu’il qualifie de problème une solution.
Bienheureuse la confession qu’il écrit partout sur les murs, les portes, les meubles et les objets, comme s’il avait le besoin de se confier pour se convaincre.
Persuadé que ce qu’il vit est intéressant. Le quotidien est son aventure. C’est l’histoire d’un homme qui avait l’ambition de vivre quelque chose d’inédit, et, déçu par son quotidien, écrit pourquoi il va en changer.
Olivier Bordaçarre mène sa barque cliniquement, comme Charon pilote la sienne sur le Styx, le voyage n’est pas gratuit. L’obole est le tarif que l’homme à l’Appartement 816 finira par payer. Car si le crime est son affaire, tout est affaire de détails : « Vraiment stupide de ma part d’avoir négligé ce détail. »
Récit perturbant, perturbé. L’avenir est bouché comme le marigot d’une cuvette de WC : « Je vais arrêter d’écrire. »
Le roman lui est glaçant d’anormalité normale où la normalité est sans cesse remise en cause. Être normal, c’est aimer et travailler. L’homme qui écrit sur les murs n’aime plus son chien, n’aime plus son fils, n’aime plus sa femme. Il aime ses poissons, mieux, son aquarium. Il ne travaille plus, il télétravaille. Tout un monde.
François Braud