Ombre bones
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Chris Shane est agent du FBI depuis quelques heures seulement quand une enquête impliquant un haden lui tombe sur le coin de la tête. Avec sa coéquipière, Leslie Vann, il va tenter de résoudre le mystère qui plane autour de cet intégrateur surpris en flagrant délit supposé. Mais peut-être qu’il y bien davantage derrière cette banale affaire de meurtre…

Ce que je retiens principalement des Enfermés, c’est son univers surprenant et très crédible. Il y a vingt-cinq ans, un virus a frappé l’humanité toute entière. Au début, on pensait à une forme de grippe aviaire mais les scientifiques ont vite compris que c’était bien plus grave. Au début du roman, on a droit à une introduction de quelques lignes pour poser le contexte et comprendre l’uchronie proposée par Scalzi. Parce qu’il s’agit bien de cela, finalement, à la différence que le point divergent de l’histoire se situe dans l’Histoire proche au lieu de siècles éloignés comme on trouve souvent dans ce genre littéraire. Après le roman en lui-même, on découvre une cinquante de pages intitulées « Libération » sous forme de documentaire (mais en version scripturale forcément) où les témoignages de plusieurs spécialistes, chercheurs, victimes, etc. s’enchaînent afin de renseigner en profondeur le lecteur sur l’histoire du virus haden. J’ai adoré cette idée même si une partie donnait l’impression de redite avec le contenu du roman. Ce que décrit Scalzi paraît tellement crédible que j’ai du mal à croire que ça ne soit pas réellement arrivé, que ça n’appartiennent pas à notre véritable histoire. Chapeau.

Pour vous donner quelques bases dans l’univers : si certains meurent de ce virus, d’autres finissent enfermés dans leur corps. On les appelle « haden » du nom de la première dame des États-Unis qui a elle aussi contracté le virus à l’époque. Pour cette raison, le Président a investi des sommes colossales dans la recherche afin de trouver un moyen de libérer ces personnes enfermées. Un système a été imaginé par des chercheurs qui sont passées par plusieurs phases (détaillées dans « Libération » ) pour finalement aboutir à la création de robots qu’on appelle des cispés. Ce sont des enveloppes mécaniques contrôlées par l’esprit des hadens enfermés qui réussissent à s’y transférer. Il existe également des intégrateurs, soit des personnes qui ont survécus au virus sans être enfermées mais dont le cerveau a été modifié si bien qu’ils peuvent se synchroniser avec des hadens et les inviter dans leur corps, ce qui peut donner parfois lieu à des dérives. Voilà, vous avez les clés de base pour appréhender l’univers. Je ne sais pas ce qu’il vous faut de plus pour vous mettre l’eau à la bouche?

Les romans en lui-même, titré Les Enfermés, raconte la première semaine au FBI de Chris Shane qui ne va pas chômer. Chris est un haden depuis l’enfance et le fils d’une star du basket. Il a été célèbre pour avoir contracté le virus et devenir l’un des premiers à bénéficier d’un cispé. Ils enquêtent au départ sur une agression qui serait peut être un suicide mais des éléments ne collent pas. Plus leur enquête va avancer et plus ils vont mettre à jour un plan assez glaçant. Ce sera l’occasion pour l’auteur d’aborder toute une série de thématiques importantes et d’inviter son lecteur à réfléchir, comme il a pu le faire dans La Controverse de Zara XXIII. Ce qui m’a le plus marquée, ici, c’est la polémique autour des hadens. Une entreprise n’était pas loin de réussir à trouver le moyen de les libérer en parvenant à leur rendre le contrôle de leur corps mais certains hadens s’y refusent et militent contre cette perspective en parlant de génocide envers toute une partie de la population. Ça parait très violent et insensé exprimé ainsi. Au début, j’ai moi-même eu du mal à appréhender leur point de vue mais finalement Scalzi exploite bien notre tendance culturo-centrée. Il la critique de manière intelligente et ça remue. Il faut dire que les hadens disposent d’un réseau appelé Agora où ils peuvent exister comme ils le souhaitent, chacun a son espace privé, peut y inviter d’autres hadens, etc. Faut-il vraiment vivre dans le monde réel pour exister? J’aime beaucoup cette question. D’ailleurs quand on suit le personnage de Chris en tant que lecteur, on s’aperçoit à peine qu’il est « handicapé ». On l’oublie souvent, sauf quand il se bat avec son cispé et qu’il en casse trois ou quatre sur sa première semaine, ou qu’il est confronté à son corps physique. Grâce à la narration à la première personne, on ressent vraiment que tout ça constitue sa normalité, son quotidien, qu’il n’a aucun problème à être un haden. Une belle réussite de la part de Scalzi. Je n’avais pas remarqué mais Scalzi réalise un tour de force en écrivant tout le roman sans jamais préciser le sexe de Chris ! Je suis partie du principe qu’il s’agissait d’un homme (par habitude sans doute) mais il n’utilise jamais de pronom et ses interlocuteurs non plus, pas pour le définir. Du coup, je conserve le « il » mais ça pourrait très bien devenir un « elle ». Je suis bluffée !

Du coup, au milieu de cet univers hyper riche, l’intrigue passe un peu au second plan. Ou plutôt, elle se révèle classique dans son développement et sa résolution. En soi, ce n’est pas forcément un mal mais je n’ai pas eu beaucoup de surprises de ce côté là. De plus, j’ai regretté quelques longueurs sur les explications au sein du texte en lui-même. Ça ne m’a pas gâché ma lecture mais ça me semblait important de le relever.

Pour résumer, les Enfermés est un roman de science-fiction / uchronie / policier à l’univers solide, très engagé et d’une redoutable intelligence. Tout ce à quoi Scalzi nous a habitué, en somme. Si j’ai regretté le côté classique de l’intrigue en elle-même, je me suis régalée avec son contenu et sa narration à forte portée signifiante. Je recommande donc volontiers ce texte, tout comme chaque roman de Scalzi lu jusqu’ici !

 

 
 
 
Publié le 5 novembre 2019

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