Pour moi, c’est une véritable réussite à la fois sur les plans de l’évasion et de la spéculation propre à la SF, à la condition de lire les 2 aspects de ce livre.

Scalzi - Les enfermés - Albédo
Article Original

A ce jour, je n’ai lu que peu d’œuvres de John Scalzi. Deux pour tout dire. C’est peu pour tirer des conclusions hâtives et définitives. Cependant, il y a un premier constat que je peux faire. L’américain possède un style qui me convient. Je lui trouve une écriture fluide et une bonne capacité à happer l’attention du lecteur.

 

Le premier roman que j’ai lu était Le Vieil Homme et la Guerre. J’avais ouvert le livre pour ne le quitter qu’une fois la dernière page achevée. Pour Les enfermés,  2 jours m’ont suffit pour le dévorer jusqu’à la dernière ligne (merci le trajet dans les Alpes).

L’histoire débute à la manière d’un roman policier. Chris Shane, un tout jeune agent du FBI,  débute en fanfare : son premier jour, son premier meurtre. Un jeune homme indien a été égorgé dans une chambre d’hôtel. Le suspect prétend ne se souvenir de rien, et ce n’est nul autre que l’avocat d’un grand magnat de l’industrie Haden qui prend sa défense…

L’homme en question est un intégrateur, il a la capacité neurologique de recevoir un esprit humain dans son cerveau. Chris, est à l’opposé du spectre de la maladie d’Haden : c’est un enfermé. Muré au sein de son corps, il est dépendant des formidables avancées techniques et technologique pour vivre. C’est grâce à sa liaison avec un « transport personnel » (un cispé) qu’il remplit ses devoirs d’agent du FBI et qu’il accomplit ses principales interactions sociales dans l’univers physique. Pour le virtuel, un espace dédié aux hadens existe.

Le lecteur devine assez rapidement quelques éléments de l’enquête menée par le duo du FBI. Si l’identité du principal auteur est relativement évidente, John Scalzi parvient à réserver quelques surprises et rebondissements au lecteur. L’intrigue est maîtrisée de bout en bout, le format relativement court permet une écriture nerveuse et efficace. Ainsi, l’aspect thriller est agréable et le lecteur de SF y trouvera son compte. Certes, pour l’amateur du genre policier, l’histoire risque d’être un peu courte et insuffisamment alambiquée, mais cela reste un détail dans le genre qui nous occupe.

En effet, Les enfermés est un objet littéraire à plusieurs étages. Une fois le premier largué avec efficacité, intéressons-nous au suivant. Scalzi a imaginé une pandémie mondiale touchant des milliard de personnes. Le virus, aérien et malveillant, a vu sa tâche grandement facilitée par les moyens de transports modernes et quelques ironies du destin. La comparaison avec la grippe espagnole permet de se faire une bonne idée  des mécanismes en œuvre. Une belle crédibilité inquiétante pour notre avenir.  Cela permet de propulser le 3° étage sur une orbite étudiée. En effet, le virus a fait des milliard de victimes : une partie de la population touchée s’en est remise, les morts sont légion, alors que les autres ont vu la structure interne de leur cerveau modifiée… A l’échelle de la planète, cette maladie a eu de multiples effets, notamment sanitaires, économiques et politiques avec des effondrements massifs d’états et de continents.

Enfin, pour terminer en « beauté » ce périple infernal, John Scalzi propose en fin de son roman, une histoire orale de la maladie d’Haden. Cet ajout est loin d’être anecdotique : il met en prose la création d’une société entièrement nouvelle. Il ne s’agit pas d’une culture ou d’une communauté, il y a trop de courants et de strates parmi la multitude de victimes, elles ont un seul point commun : ce sont des enfermés. Cette histoire orale qui clôture un roman intense et bien pensé confère à l’ensemble la profondeur attendue et matière à réflexion.

La lumière étant essentiellement centrée sur l’agent haden Chris Shane, les autres personnages, sont un peu moins charnus que lui mais chacun a sa personnalité et des traits de caractères identifiables. Vann, la partenaire de Shane est d’ailleurs un personnage rapidement marquant et attachant, même si quelques nuances  supplémentaires aurait été fort appréciées.  Le protagoniste principal est très réussi et donne une crédibilité plus grande au récit, avec la dualité de son existence. Comme quoi, il est possible de soigner ses personnages même dans un format relativement court.

Par ailleurs, j’y ai trouvé quelques échos de mes dernières lectures en rapport avec la virtualité d’un côté et la manipulation du cerveau humain de l’autre. Ainsi, le lecteur explorait-il les capacités potentielles de la matière grise dans Le Nexus de Dr Erdmann de Nancy Kress. Ce court roman possède une saveur mystique, mais également un aspect scientifique très réussi. Dans Les enfermés, nous retrouvons cette plasticité neuronale tout en allant plus loin, surtout dans les moyens techniques déployés et leurs conséquences tout azimut. Dans Cookie Monster de Vernor Vinge, c’est la réalité virtuelle – si je puis dire – qui est abordée et qui trouve un écho quasi harmonique avec Les enfermés. Mais alors que dans le roman de Vinge, certains aspects sont simplement effleurés, ici, la thématique exploite pleinement sa potentialité. Ces malades peuvent vivre dans une réalité virtuelle au sein de laquelle ils  projettent leur conscience, l’Agora (un réseau social moderne et bien plus puissant que ce que nous connaissons de nos jours).

A la lecture de ce billet, nul doute que vous aurez compris que j’ai aimé ce livre de John Scalzi. Certes, il n’est pas sans défaut. Nous pourrions trouver une ou deux ficelles un poil faciles pour un auteur de son calibre, et il aurait pu complexifier son intrigue et ses personnages. A côté de cela, il décrit un futur pour l’humanité non seulement plausible et effrayant, mais également probable…

Pour moi, c’est une véritable réussite à la fois sur les plans de l’évasion et de la spéculation propre à la SF, à la condition de lire les 2 aspects de ce livre.

 

 Lutin82 - Albédo

Publié le 19 septembre 2016

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