Clairement, si le roman de Lev Grossman déconcerte, c'est bien que son propos (qui en définitive en est l'intrigue principale) se déroule dans les coulisses de l'apparent manque d'action attendue. Et c'est ce qui le distingue de ses nombreux confrères, lui donne son ton particulier et en fait une expérience qu'il faudra malgré tout tenter.

Les Magiciens - Ymaginères

À propos d’Harry, Narnia et tous les autres

Ceux qui me connaissent savent mon obsession pour les récits méta-discursifs. Et voici que Les Magiciens tombe entre mes mains. Au premier abord, avouons-le c'est mon côté gamin fan d'Harry Potter et compagnie qui s'est laissé avoir par la couverture française (d’un certain Frédéric Perrin), parfaite au plan marketing avec son dynamisme contrastant les ombres et lumières. Le livre est d'ailleurs vendu comme « un Harry Potter pour adulte » (citation tirée des lignes du New York Times). Ce qui est un peu vrai. Mais en même temps très faux. Parce que plus qu'une énième aventure avec des sorciers dans une école de magie, le bouquin de Lev Grossman est un livre sur ceux-ci. Un méta-discours sur Harry Potter, Narnia et les autres. Et qui s'adresse tout particulièrement à leurs lecteurs. Certainement en ça qu'il paraîtra déroutant à certains, voire frustrera les attentes types.

Si l'on trouvera des ressemblances avec les incontournables classiques susdits, ce n'est donc pas par manque d'imagination, mais plutôt par citation. Non pas juste une citation en guise d'hommage, car le principe qui guide tout le récit est assez simple : passer à la moulinette tous les clichés du genre aventure magique avec des gamins. Une des façons un peu provoc' de vendre le livre est d'ailleurs de dire que dans celui-ci les protagonistes font tout ce que Harry et ses amis n'ont pas pris le temps de faire en sept tomes : se bourrer la gueule et baiser. Ça a l'air racoleur dit comme ça. Pourtant c'est joué finement. La véritable question à poser serait plutôt : mais pourquoi diable est-ce que ça ne couche pas plus dans Harry Potter ? OK, c'était des ados, mais tout de même. Finalement, si au début du roman, Quentin – le « héros » – a 17 ans, âge d'Harry Potter dans sa dernière aventure, ce n'est pas un hasard : quelque part, symboliquement, c’est comme si Lev Grossman nous disait (à nous lecteurs, mais aussi aux auteurs qui l’ont précédé) « OK, vous avez fait ça. Je vais reprendre où vous vous êtes arrêtés, je vais vous montrer ce à côté de quoi vous êtes passés. »

J'ai pu lire dans les chroniques d'autres lecteurs une sorte d'agacement envers le personnage principal, Quentin, donc. Il est vrai qu'il est assez mollasson, se laisse plutôt aller et que, même si sympathique, on ne lui trouvera pas la carrure héroïque et dramatique d'un Harry. Il s'avère même un peu lâche, disons-le. Dans le même ordre d'idée, on trouvera que l'action met longtemps à démarrer, qu'il ne se passe au final pas grand chose. Sans trop dévoiler l’intrigue, on saura que le « grand méchant » n'apparaît qu'assez tardivement et qu'en guise de menace terrifiante on a vu bien pire. Ce qui pourra sembler bien peu folichon à certains qui auraient voulu un rythme plus endiablé.

Mais c'est au cœur de cela que se glisse le message principal sous-tendu par les micro-évènements de l'intrigue. Ça me donne envie de citer une jeune fille (Diane Ranville du forum JDR et fanzine Blend Awake) avec qui j'ai discuté récemment et qui disait trouver qu'au final « le plus difficile dans la vie réelle, c'est justement qu'il n'y a pas d'ennemi désigné, rien à combattre, pas d'idéal suprême pour lequel s'engager. Juste la vague envie de ne pas être du néant. »

C'est bien ça la principale menace, l'ennemi suprême de Quentin et ses camarades : le néant, l'ennui. Il n'y a, si on y pense bien, aucune raison que dans un univers où la magie existe, cela soit facile pour autant. Et encore moins comme conséquence de celle-ci que soudain tout soit fascinant, dynamique et excitant. Ni qu'il y ait automatiquement un grand méchant, le mal incarné qu'il faudrait vaincre pour qu'ensuite le bonheur revienne. Ni d’ailleurs que le personnage principal soit fort dans l’adversité, héroïque et juste. Ici, la magie est au final presque comme une drogue de plus, avec l'alcool et le sexe, pour tenter d'oublier le reste. Mais qui ne saura jamais le faire disparaître.

Clairement, si le roman de Lev Grossman déconcerte, c'est bien que son propos (qui en définitive en est l'intrigue principale) se déroule dans les coulisses de l'apparent manque d'action attendue. Et c'est ce qui le distingue de ses nombreux confrères, lui donne son ton particulier et en fait une expérience qu'il faudra malgré tout tenter.

Colville

Publié le 12 mars 2012

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