Et c'est en cela que le livre de Lev Grossman est quelque part ce chef d'oeuvre qui nous fait comprendre cette chose essentielle, croire en sa magie, renier cette volonté de puissance qui fait croire que c'est de la magie, volubilité de la vraie magie, incarnée en un point nodal perdu en un lieu sans date de notre enfance, ce monde où décidément on peut choisir d'être roi, sans les désillusions inhérentes au temps des adultes.

Les Magiciens - ScienceFiction

Quentin est à l'image de tous les adolescents du monde, il attend de connaître le prestige dans une vague université tandis qu'il n'arrive pas à tourner le dos à une enfance rêveuse et à ces merveilleuses " Chroniques de Fillory ". C'est à ce moment très délicat de ses dix-sept ans que tout va basculer. Le voilà pris au sein d'une université, mais pas n'importe laquelle : la faculté de Brakebills est une école formant l'élite de demain, oui mais attention, des magiciens. 

Commence alors pour Quentin un voyage au bout de lui-même, un voyage qui lui apprendra que même si la magie ne peut pas changer le monde, un monde aux dimensions de ces fameuses " Chroniques de Fillory " peut être. Après le retentissant " Codex, le manuscrit oublié ", best-seller international, Lev Grossman s'est dit qu'il pouvait peut-être toucher à un matériau plus délétère encore, en s'essayant au fantastique, et plus particulièrement à cette fantasy façon " Harry Potter " tellement en vogue.
 
L'histoire que nous conte Lev est plus adulte car concerne des personnages supposés avoir dépassé le stade de l'enfance en fin s'axer sur le chemin d'un âge adulte ayant enfin renoncé aux illusions infantiles, croit-on. L'idée donc de traiter d'une école accueillant des jeunes adultes est pour le moins séduisante et pas vraiment nouvelle mais servie par une plume aussi à l'aise avec son sujet c'est ce qui relève une fois de plus de l'exploit romanesque tout simplement. La formation de journaliste de Lev Grossman n'est d'ailleurs pas en reste dans l'agencement parfait de chapitres aussi bien renseignés que des articles mais ce qui instille ce petit plus qui le démarque de l'anecdotique journalistique c'est bien une profonde sensibilité dans cette quête folle d'une saisie sur le monde, folie des folies.
 
Ensuite, ce fameux référent qui est " Les chroniques de Fillory " est un point intéressant sur lequel on sera tenté de s'arrêter symboliquement, et sachant que l'auteur est anglais, on pourrait se dire que ce titre énigmatique, bien loin d'être anodin, serait en quelque sorte une réponse romanesque faisant échos à quelqu'un qui a bel et bien existé. Ainsi, si un certain Thomas Mallory rédigea jadis, dans la réclusion d'une prison ce cycle des " Chevaliers de la table ronde ", qui faisait comme refaire un monde que l'auteur pensait perdu, pourquoi ne pas penser la filiation d'avec ce récit-monde de l'enfance de Quentin comme la même manifestation symbiotique ? L'un se situant dans cette Angleterre médiévale et intolérante, l'autre dans cette enfance secrète et cachée, pourraient alors entretenir des liens de parentés on ne peut plus fort car si Mallory a bel et bien inventé son monde en prison, Quentin ne veut-il pas faire de même avec ce monde qui est pour lui une prison pleine de désenchantement, en invoquant comme un vieux sortilège ces " Chroniques de Fillory " qui furent un peu " son monde " dans son enfance ? Fascinant questionnement sur le pouvoir de l'imaginaire sur le réel et puissant retournement des perspectives, quand il s'agit de penser la valeur des choses, et de fait celle de sa propre vie car si la magie elle-même échoue à transformer le monde en avilissant ses apôtres, l'imaginaire créatif devient-il la dernière demeure sacrée où inventer des mondes est encore et toujours possible ? Le poète ne dit-il pas qu'il y a toujours un enfant qui nous attend quelque part, sur les territoires de notre passé ? Par conséquent, la filiation symbolique Mallory/Fillory pourrait sembler avoir été utilisée par l'auteur comme une boîte de Pandore, mais sans la censure culpabilisatrice, pour mettre en contact le lecteur avec une chose essentielle, peut-être la seule chose qui compte dans une vie : croire en sa propre magie. 
 
Et si Quentin s'en va ce ne sera pas pour la magie des adultes qui veulent redevenir des enfants alors qu'ils en sont définitivement déchus, fatalité faustienne, mais bien pour ce pays où tout reste possible, même la magie car lorsque l'on est enfant tout est réalisable dans ce temps hors du temps dans lequel on invente ses victoires, ses exploits et cette temporalité sentimentale où l'on peut être tout, un millier de fois, sans mourir. 
 
Et c'est en cela que le livre de Lev Grossman est quelque part ce chef d'oeuvre qui nous fait comprendre cette chose essentielle, croire en sa magie, renier cette volonté de puissance qui fait croire que c'est de la magie, volubilité de la vraie magie, incarnée en un point nodal perdu en un lieu sans date de notre enfance, ce monde où décidément on peut choisir d'être roi, sans les désillusions inhérentes au temps des adultes. C'est là la leçon de Mallory, celle qui ouvre les portes de toutes les prisons, la seule qui marche...
 
Emmanuel COLLOT
Publié le 11 juillet 2011

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