Magie brute se déroule dans les années trente, mais dans un monde qui n’est pas exactement celui que nous connaissons. L’Histoire a bifurqué au dix-neuvième siècle avec l’apparition de nouveaux pouvoirs chez les êtres humains. Le premier cas indiscutable remonte à 1849 et si les « actifs » restent en nombre restreint, leurs pouvoirs sont variés : les pousseurs sont capables de modifier à volonté la gravité, les estompeurs de traverser la matière, les bougeurs de se déplacer instantanément.   À ces détails près, les années trente ressemblent fort à celles dont nous avons entendu parler. La crise économique est là, le Japon prend de plus en plus d’importance et si ses ambitions expansionnistes commencent à devenir transparentes, le commerce avec le Levant est si lucratif que les politiques préfèrent plonger la tête dans le sable : Tesla n’a-t-il pas inventé ce « rayon de la paix » qui n’est autre qu’une version uchronique de l’arme atomique, censée protéger les Etats-Unis de toute agression extérieure ? Quant à l’interdiction de vendre des armes à l’empire japonais, en particulier ces fabuleux dirigeables de guerre qui sont le fleuron de l’industrie militaire américaine, elle est bien facilement contournée.   C’est dans ce contexte hybride entre réalité et fiction, que Faye, une gamine victime de la crise économique, échoue en Californie, dans une ferme tenue par un émigré portugais. Tout comme lui, elle est dotée du pouvoir de « bouger ». Mais, très vite, il s’avère que le pouvoir de Faye est infiniment supérieur à celui de tous les « bougeurs » connus. Après l’assassinat de son mentor, elle part sur les traces de son passé et découvre qu’il appartenait au Grimnoir, une confrérie occulte d’ « actifs » ayant décidé de lutter en secret contre la cécité du président des Etats-Unis et de s’opposer aux visées japonaises. Car, comme l’explique un des protagonistes, « la guerre se déroule dans les ombres entre les nations. » Un affrontement tout d’abord secret, mais qui devient rapidement explosif.   On n’en finirait pas de lister les qualités de cet ouvrage dont le descriptif rapide laissait augurer quelque aventure grossière façon « comics », mais qui se situe à bien des coudées au-dessus. Dans l’inventivité, dans la fantaisie, dans le caractère bondissant, cet ouvrage représente une surprise totale et fait penser à des classiques tels que Les Voies d’Anubis de Tim Powers ou l’excellent Machines infernales de K. W. Jeter.   Si l’auteur a pris soin d’ancrer son récit dans une réalité proche de celle rapportée par les livres d’Histoire, il ne s’est pas contenté d’en rester là. L’ouvrage est rehaussé d’épigraphes apocryphes de Gandhi, Abraham Lincoln, Sigmund Freud, Wyatt Earp, Woodrow Wilson, Théodore Roosevelt et Charles Darwin, auteur dans ce monde un peu fou d’un essai intitulé: De l’origine de l’homme et la sélection des pouvoirs magiques humains. Quant aux membres du Grimnoir, certains d’entre eux sont également issus du monde réel : le Général Pershing, John Moses Browning, inventeur célèbre d’armes à feu ( dont le décès dans le monde réel, en 1926, ne fut qu’un leurre destiné à masquer son entrée dans le Grimnoir, ce qui nous vaudra quelques belles descriptions d’armes à feu uchroniques). D’autres membres sont issus de l’esprit de Larry Correia ou même d’autres fictions. Citons par exemple le personnage de Jake Sullivan, ancien truand, et ancien soldat de la première guerre mondiale, qui combattit dans la Somme les légions de zombies allemands, des soldats dont les âmes étaient enchaînées aux corps par cette autre variété de magiciens que sont les lazares.   On est donc dans l’uchronique savamment documenté, mais aussi dans le véritable steampunk, caractérisé ici par l’aspect littérature de fusion entre roman noir, aventure débridée, mélange de réel et de fiction, sans compter les inévitables dirigeables emblématiques du genre, qui nous valent de magnifiques chapitres de piraterie aérienne. Magie Brute, bourré de surprises et d’action sans jamais sombrer dans la surenchère gratuite, s’inscrit pleinement dans l’élégante définition du steampunk par Denis Mellier : « une sorte de machine transformant les combustibles fictionnels divers en une énergie décuplée. »   Pour autant, si Magie Brute fonctionne si bien, si la multiplicité des matériaux métatextuels s’agence en un récit homogène, si aucune fausse note ne vient faire gémir cet édifice composite – mais agencé avec un soin horloger – c’est aussi, et peut être même surtout, parce que l’auteur a su donner une véritable dimension humaine à chacun de ses personnages. En resserrant l’action autour des membres du Grimnoir et de quelques personnages annexes, en les faisant littéralement exister par leurs interactions et leurs doutes, en les dotant d’un passé complexe apparaissant par petites touches, en refusant la caricature manichéenne, en donnant une profondeur inattendue à ce que l’on aurait pu un moment croire de simples stéréotypes et, in fine, en les révélant peu à peu à travers les péripéties et le regard de Faye, l’auteur donne à son roman la touche finale qui le rend à la fois prenant et crédible.   Magie brute apparaît donc comme une bonne, une très bonne surprise. Depuis sa publication en langue originale en 2011, Larry Correia a publié Spellbound, autre roman dans l’univers du Grimnoir, et l’on murmure qu’il serait à l’ouvrage sur Warbound, un troisième volume. Gageons que les éditions L’Atalante, qui ont eu l’excellente idée de traduire ce premier volume, ne s’arrêteront pas en si bon chemin.     Alaric Mythologica

Correia - Magie Brute - Mythologica
Magie brute se déroule dans les années trente, mais dans un monde qui n’est pas exactement celui que nous connaissons. L’Histoire a bifurqué au dix-neuvième siècle avec l’apparition de nouveaux pouvoirs chez les êtres humains. Le premier cas indiscutable remonte à 1849 et si les « actifs » restent en nombre restreint, leurs pouvoirs sont variés : les pousseurs sont capables de modifier à volonté la gravité, les estompeurs de traverser la matière, les bougeurs de se déplacer instantanément.
 
À ces détails près, les années trente ressemblent fort à celles dont nous avons entendu parler. La crise économique est là, le Japon prend de plus en plus d’importance et si ses ambitions expansionnistes commencent à devenir transparentes, le commerce avec le Levant est si lucratif que les politiques préfèrent plonger la tête dans le sable : Tesla n’a-t-il pas inventé ce « rayon de la paix » qui n’est autre qu’une version uchronique de l’arme atomique, censée protéger les Etats-Unis de toute agression extérieure ? Quant à l’interdiction de vendre des armes à l’empire japonais, en particulier ces fabuleux dirigeables de guerre qui sont le fleuron de l’industrie militaire américaine, elle est bien facilement contournée.
 
C’est dans ce contexte hybride entre réalité et fiction, que Faye, une gamine victime de la crise économique, échoue en Californie, dans une ferme tenue par un émigré portugais. Tout comme lui, elle est dotée du pouvoir de « bouger ». Mais, très vite, il s’avère que le pouvoir de Faye est infiniment supérieur à celui de tous les « bougeurs » connus. Après l’assassinat de son mentor, elle part sur les traces de son passé et découvre qu’il appartenait au Grimnoir, une confrérie occulte d’ « actifs » ayant décidé de lutter en secret contre la cécité du président des Etats-Unis et de s’opposer aux visées japonaises. Car, comme l’explique un des protagonistes, « la guerre se déroule dans les ombres entre les nations. » Un affrontement tout d’abord secret, mais qui devient rapidement explosif.
 
On n’en finirait pas de lister les qualités de cet ouvrage dont le descriptif rapide laissait augurer quelque aventure grossière façon « comics », mais qui se situe à bien des coudées au-dessus. Dans l’inventivité, dans la fantaisie, dans le caractère bondissant, cet ouvrage représente une surprise totale et fait penser à des classiques tels que Les Voies d’Anubis de Tim Powers ou l’excellent Machines infernales de K. W. Jeter.
 
Si l’auteur a pris soin d’ancrer son récit dans une réalité proche de celle rapportée par les livres d’Histoire, il ne s’est pas contenté d’en rester là. L’ouvrage est rehaussé d’épigraphes apocryphes de Gandhi, Abraham Lincoln, Sigmund Freud, Wyatt Earp, Woodrow Wilson, Théodore Roosevelt et Charles Darwin, auteur dans ce monde un peu fou d’un essai intitulé: De l’origine de l’homme et la sélection des pouvoirs magiques humains. Quant aux membres du Grimnoir, certains d’entre eux sont également issus du monde réel : le Général Pershing, John Moses Browning, inventeur célèbre d’armes à feu ( dont le décès dans le monde réel, en 1926, ne fut qu’un leurre destiné à masquer son entrée dans le Grimnoir, ce qui nous vaudra quelques belles descriptions d’armes à feu uchroniques). D’autres membres sont issus de l’esprit de Larry Correia ou même d’autres fictions. Citons par exemple le personnage de Jake Sullivan, ancien truand, et ancien soldat de la première guerre mondiale, qui combattit dans la Somme les légions de zombies allemands, des soldats dont les âmes étaient enchaînées aux corps par cette autre variété de magiciens que sont les lazares.
 
On est donc dans l’uchronique savamment documenté, mais aussi dans le véritable steampunk, caractérisé ici par l’aspect littérature de fusion entre roman noir, aventure débridée, mélange de réel et de fiction, sans compter les inévitables dirigeables emblématiques du genre, qui nous valent de magnifiques chapitres de piraterie aérienne. Magie Brute, bourré de surprises et d’action sans jamais sombrer dans la surenchère gratuite, s’inscrit pleinement dans l’élégante définition du steampunk par Denis Mellier : « une sorte de machine transformant les combustibles fictionnels divers en une énergie décuplée. »
 
Pour autant, si Magie Brute fonctionne si bien, si la multiplicité des matériaux métatextuels s’agence en un récit homogène, si aucune fausse note ne vient faire gémir cet édifice composite – mais agencé avec un soin horloger – c’est aussi, et peut être même surtout, parce que l’auteur a su donner une véritable dimension humaine à chacun de ses personnages. En resserrant l’action autour des membres du Grimnoir et de quelques personnages annexes, en les faisant littéralement exister par leurs interactions et leurs doutes, en les dotant d’un passé complexe apparaissant par petites touches, en refusant la caricature manichéenne, en donnant une profondeur inattendue à ce que l’on aurait pu un moment croire de simples stéréotypes et, in fine, en les révélant peu à peu à travers les péripéties et le regard de Faye, l’auteur donne à son roman la touche finale qui le rend à la fois prenant et crédible.
 
Magie brute apparaît donc comme une bonne, une très bonne surprise. Depuis sa publication en langue originale en 2011, Larry Correia a publié Spellbound, autre roman dans l’univers du Grimnoir, et l’on murmure qu’il serait à l’ouvrage sur Warbound, un troisième volume. Gageons que les éditions L’Atalante, qui ont eu l’excellente idée de traduire ce premier volume, ne s’arrêteront pas en si bon chemin.
 
 
Alaric
Publié le 8 juin 2012

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