L’ "urban fantasy" est l’un de ces sous-genres des littératures de l’imaginaire en plein développement et parmi les plus créatifs, me semble-t-il, ces dernières années. Le roman de Larry Correia, Magie brute, le premier des Chroniques du Grimnoir (L’Atalante), en est un parfait exemple. En 475 pages denses, pleines d’humour et d’action, l’auteur nous introduit dans une Terre uchronique où le point de divergence a été l’apparition d’individus doués de pouvoirs magiques à partir du milieu du 19e siècle, environ quatre-vingts ans avant les événements qui nous sont relatés. Cette attribution, au hasard de la loterie génétique, de pouvoirs tous différents les uns des autres en puissance et en utilité a bouleversé l’ordre des choses et l’histoire humaine : en 1930 le monde est à la fois très proche du nôtre - en pleine crise économique suite au krach de Wall Street, on roule en Ford T, on va au cinéma - et complètement différent - on se déplace en dirigeables géants sans risque grâce aux "torches", humains dont le pouvoir est de contrôler le feu, les fermiers portugais ont colonisé la Californie et Hitler a été exécuté en 1929 - pour citer quelques exemples. À travers les vies de plusieurs personnages qui vont se rencontrer et interagir au fil des pages, et plus particulièrement celle de Jake Sullivan, héros de la Grande Guerre, criminel en liberté surveillée et détective privé, "brute" capable de contrôler la gravité et la densité donc quasi invulnérable, et celle de Faye, jeune Okie recueillie par un vieux fermier portugais qui a reconnu en elle une "voyageuse" (humaine ayant le don de se télétransporter), Correia trace avec force petits détails un monde d’une complexité remarquable où s’affrontent les forces du Mal, représentées par l’Imperium (en fait la Sphère de coprospérité asiatique dominée par le Japon, un Japon qui finit de conquérir l’Asie et de mettre au pas la Chine après avoir écrasél’Empire russe lors de la guerre de 1905 qui, ici ,a duré jusqu’en 1908) et le surhomme qui est Président du Conseil de l’Empereur, le baron Tokugawa (qui a vu le commodore Perry forcer le Japon à s’ouvrir), et les forces du Bien, représentées elles par le Grimnoir, organisation aussi mystérieuse qu’internationale, dont les valeureux Chevaliers luttent sans relâche pour la liberté et la démocratie, champions de la probité et de l’honnêteté. Mais est-ce vraiment le cas ? Pourquoi le général Pershing s’est-il opposé aux hiérarques européens du Grimnoir ? Et a-t-il eu raison de vouloir détruire l’arme ultime inventée par Nikola Tesla, cet "engrenage" de génie, autrement dit un humain surdoué en matière d’ingénierie ? Quelle est la nature de la magie, d’où vient ce pouvoir apparu si mystérieusement et pour quelle raison ? Le Président ne répond-il pas, en fait, aux vrais besoins de l’humanité face au futur qui l’attend en utilisant les "actifs", ces humains détenteurs de pouvoirs, et en les développant au maximum de leurs possibilités ? Et quel but poursuit le "cheval pâle" (référence au Livre des Révélations de la Bible mais aussi au titre de l’un des livres fondateurs du conspirationnisme américain, celui de Milton William Cooper) , cet homme capable d’infecter n’importe qui avec de terribles maladies, en manipulant Cornelius Gould Stuyvesant, l’homme le plus riche du monde et le plus grand constructeur de dirigeables ? Toutes ces questions, et bien d’autres, comme survivre à la prochaine attaque des Gardes de fer, ces surhommes rendus surpuissants par la gravure au fer de "kanjis" (formules magiques) divers dans leur chair, ou contrôler et développer son pouvoir, sont au centre des préoccupations de Jake et de Faye, qui vont faire équipe avec des membres du Grimnoir pour essayer d’empêcher le Président de dominer le monde grâce au géo-tel, l’arme de Tesla utilisée une fois lors de la dévastation de la Tougounska en 1908. Et voici l’une des très grandes forces de l’auteur et de son roman : utiliser des événements et des personnages réels en les modifiant légérement grâce à la magie La Tougounska en est un exemple, mais cela va aussi de l’extrait d’une interview de "Babe" Ruth, le grand joueur de base-ball, soutenant que l’utilisation de son pouvoir pour jouer est parfaitement naturel, à la transformation de la tristement célèbre unité 731 de Mandchourie en unité d’expérimentation sur les pouvoirs magiques avec encore plus d’horreurs à son actif, en passant par les souvenirs du capitaine du "Titanic" lors des festivités pour le 5ème anniversaire de la croisière inaugurale. Correia a manifestement fait beaucoup de recherches car si il n’hésite pas à mettre en scène Shiro Ishii, ici chef des "engrenages" de l’unité 731, un personnage connu, il peut aussi se livrer à des clins d’oeil beaucoup plus confidentiels : Faye parle par exemple du gros livre d’un certain Dr. Fort sur la "téléportation". Or combien de lecteurs feront le rapport avec Charles Hoyt Fort, patron des "fortéens" du monde entier qui, dans Wild Talents (paru en 1932), inventait le mot et imaginait des bataillons télékinétiques et des guerres menés avec des pouvoirs parapsychologiques ? Correia est aussi très fort pour décrire cet univers étrange où, grâce à la magie, sont possibles des engins de rêve : on n’oubliera pas de si tôt sa description du "Tokugawa", le dirigeable amiral géant commandé par le Président, merveille de technologie, de magie et d’artisant traditionnel japonais ! Ni d’ailleurs sa description de Berlin, la ville détruite où ont été confinés les zombies de l’armée du Kaiser après la défaite ! Comme je l’ai dit auparavant, Magie brute est un roman dense, foisonnant, inclassable : mélange de pure SF et de fantastique sans limites, polar uchronique et chronique d’une guerre secrète, mélange de pulps de superhéros et de "detective novels", de guerre et d’aventures, d’espionnage et de science, c’est un condensé du meilleur de la littérature populaire, au sens noble du terme, et de la créativité et l’inventivité contemporaines. Le résultat est détonnant, étonnant et totalement réussi !   Jean-Luc Rivera ActuSF

Correia - Magie Brute - ActuSF

L’ "urban fantasy" est l’un de ces sous-genres des littératures de l’imaginaire en plein développement et parmi les plus créatifs, me semble-t-il, ces dernières années. Le roman de Larry Correia, Magie brute, le premier des Chroniques du Grimnoir (L’Atalante), en est un parfait exemple.

En 475 pages denses, pleines d’humour et d’action, l’auteur nous introduit dans une Terre uchronique où le point de divergence a été l’apparition d’individus doués de pouvoirs magiques à partir du milieu du 19e siècle, environ quatre-vingts ans avant les événements qui nous sont relatés. Cette attribution, au hasard de la loterie génétique, de pouvoirs tous différents les uns des autres en puissance et en utilité a bouleversé l’ordre des choses et l’histoire humaine : en 1930 le monde est à la fois très proche du nôtre - en pleine crise économique suite au krach de Wall Street, on roule en Ford T, on va au cinéma - et complètement différent - on se déplace en dirigeables géants sans risque grâce aux "torches", humains dont le pouvoir est de contrôler le feu, les fermiers portugais ont colonisé la Californie et Hitler a été exécuté en 1929 - pour citer quelques exemples. À travers les vies de plusieurs personnages qui vont se rencontrer et interagir au fil des pages, et plus particulièrement celle de Jake Sullivan, héros de la Grande Guerre, criminel en liberté surveillée et détective privé, "brute" capable de contrôler la gravité et la densité donc quasi invulnérable, et celle de Faye, jeune Okie recueillie par un vieux fermier portugais qui a reconnu en elle une "voyageuse" (humaine ayant le don de se télétransporter), Correia trace avec force petits détails un monde d’une complexité remarquable où s’affrontent les forces du Mal, représentées par l’Imperium (en fait la Sphère de coprospérité asiatique dominée par le Japon, un Japon qui finit de conquérir l’Asie et de mettre au pas la Chine après avoir écrasél’Empire russe lors de la guerre de 1905 qui, ici ,a duré jusqu’en 1908) et le surhomme qui est Président du Conseil de l’Empereur, le baron Tokugawa (qui a vu le commodore Perry forcer le Japon à s’ouvrir), et les forces du Bien, représentées elles par le Grimnoir, organisation aussi mystérieuse qu’internationale, dont les valeureux Chevaliers luttent sans relâche pour la liberté et la démocratie, champions de la probité et de l’honnêteté. Mais est-ce vraiment le cas ? Pourquoi le général Pershing s’est-il opposé aux hiérarques européens du Grimnoir ? Et a-t-il eu raison de vouloir détruire l’arme ultime inventée par Nikola Tesla, cet "engrenage" de génie, autrement dit un humain surdoué en matière d’ingénierie ? Quelle est la nature de la magie, d’où vient ce pouvoir apparu si mystérieusement et pour quelle raison ? Le Président ne répond-il pas, en fait, aux vrais besoins de l’humanité face au futur qui l’attend en utilisant les "actifs", ces humains détenteurs de pouvoirs, et en les développant au maximum de leurs possibilités ? Et quel but poursuit le "cheval pâle" (référence au Livre des Révélations de la Bible mais aussi au titre de l’un des livres fondateurs du conspirationnisme américain, celui de Milton William Cooper) , cet homme capable d’infecter n’importe qui avec de terribles maladies, en manipulant Cornelius Gould Stuyvesant, l’homme le plus riche du monde et le plus grand constructeur de dirigeables ?

Toutes ces questions, et bien d’autres, comme survivre à la prochaine attaque des Gardes de fer, ces surhommes rendus surpuissants par la gravure au fer de "kanjis" (formules magiques) divers dans leur chair, ou contrôler et développer son pouvoir, sont au centre des préoccupations de Jake et de Faye, qui vont faire équipe avec des membres du Grimnoir pour essayer d’empêcher le Président de dominer le monde grâce au géo-tel, l’arme de Tesla utilisée une fois lors de la dévastation de la Tougounska en 1908. Et voici l’une des très grandes forces de l’auteur et de son roman : utiliser des événements et des personnages réels en les modifiant légérement grâce à la magie La Tougounska en est un exemple, mais cela va aussi de l’extrait d’une interview de "Babe" Ruth, le grand joueur de base-ball, soutenant que l’utilisation de son pouvoir pour jouer est parfaitement naturel, à la transformation de la tristement célèbre unité 731 de Mandchourie en unité d’expérimentation sur les pouvoirs magiques avec encore plus d’horreurs à son actif, en passant par les souvenirs du capitaine du "Titanic" lors des festivités pour le 5ème anniversaire de la croisière inaugurale. Correia a manifestement fait beaucoup de recherches car si il n’hésite pas à mettre en scène Shiro Ishii, ici chef des "engrenages" de l’unité 731, un personnage connu, il peut aussi se livrer à des clins d’oeil beaucoup plus confidentiels : Faye parle par exemple du gros livre d’un certain Dr. Fort sur la "téléportation". Or combien de lecteurs feront le rapport avec Charles Hoyt Fort, patron des "fortéens" du monde entier qui, dans Wild Talents (paru en 1932), inventait le mot et imaginait des bataillons télékinétiques et des guerres menés avec des pouvoirs parapsychologiques ?

Correia est aussi très fort pour décrire cet univers étrange où, grâce à la magie, sont possibles des engins de rêve : on n’oubliera pas de si tôt sa description du "Tokugawa", le dirigeable amiral géant commandé par le Président, merveille de technologie, de magie et d’artisant traditionnel japonais ! Ni d’ailleurs sa description de Berlin, la ville détruite où ont été confinés les zombies de l’armée du Kaiser après la défaite !

Comme je l’ai dit auparavant, Magie brute est un roman dense, foisonnant, inclassable : mélange de pure SF et de fantastique sans limites, polar uchronique et chronique d’une guerre secrète, mélange de pulps de superhéros et de "detective novels", de guerre et d’aventures, d’espionnage et de science, c’est un condensé du meilleur de la littérature populaire, au sens noble du terme, et de la créativité et l’inventivité contemporaines. Le résultat est détonnant, étonnant et totalement réussi !

 

Jean-Luc Rivera
ActuSF

Publié le 18 juin 2012

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