À travers le regard de deux personnages féminins forts qui affrontent des confédérés et des horreurs cosmiques, l’auteur met en scène des univers originaux et modernes, dans tous les sens du terme !

Les Tambours du dieu noir - Les Chroniques du Chroniqueur
Article Original

P. Djèlí Clark est le nom de plume de Dexter Gabriel, un auteur afro-américain de fantasy, de science-fiction et d’horreur né en 1971. Il exerce le métier de professeur à l’université du Connecticut et est également historien. Sa nouvelle The Secret Lives of the Nine Negro Teeth of George Washington a remporté les prix Locus et Nebula.

Les nouvelles dont je vais vous parler aujourd’hui, Les Tambours du dieu noir et L’étrange affaire du Djinn du Caire, sont à l’origine parues respectivement en 2018 et 2016. Elles ont été traduites par Mathilde Montier pour les éditions l’Atalante, qui les ont publiées en recueil en Avril 2021.

L’Analyse

Uchronies magiques et technologiques

Les deux nouvelles de P. Djèlí Clark mettent en scène des villes marquées par la présence ou l’émergence de la magie au sein de mondes industrialisés et uchroniques. Pour rappel, l’uchronie est une réécriture de l’Histoire à partir d’un point de divergence.

Dans Les Tambours du dieu noir, la Nouvelle Orléans est une véritable cité-état qui constitue un refuge pour les anciens esclaves noirs qui se sont rebellés contre les soldats Confédérés pendant la guerre de Sécession. Cette dernière a été interrompue quinze ans avant le début de l’intrigue par une armistice, mais l’opposition entre Etats du Nord et du Sud continue, puisque la narratrice mentionne la « guérilla de la vielle générale Tubman », qui vise à libérer les esclaves des Etats du Sud. Ces derniers sont totalement aliénés par un gaz, le « drapeto », qui annihile totalement leur volonté. La paix qui semble régner sur la Nouvelle Orléans n’est donc pas stable, puisque des dirigeables et des navires anglais, français et haïtiens patrouillent pour parer à d’éventuels assauts confédérés.

La Nouvelle Orléans semble alors vivre sous une menace perpétuelle, malgré le fait qu’elle soit un lieu de brassage et de mélange des populations. On remarque ainsi que le racisme a toujours cours, perpétué par les confédérés ou des Européens présents dans la ville, malgré le fait qu’elle soit dirigée par « un conseil constitué d’anciens esclaves, de mulâtres et de marchands blancs ». Cette menace pèse aussi sur Haïti et les « Isles Libres », qui ont développé des technologies pour se défendre face aux colons, avec les dirigeables par exemple.

Dans L’étrange affaire du djinn du Caire, le point de divergence est l’ouverture d’un portail entre le « Kaf, l’outre-royaume des djinns » et le monde des humains par le mage et scientifique al-Jahiz, au moyen de « de pratiques mystiques et de machines » quarante ans avant le début de l’intrigue, c’est-à-dire le début du XXème siècle. Un procédé technomagique, qui mêle science et magie, est donc la source de l’histoire alternative que décrit l’auteur. Cette émergence des djinns, puis des anges, qui s’incarnent dans des corps mécaniques dotés de plusieurs paires de bras et d’ailes (oui oui) reconfigure le destin du monde, puisque les créatures surnaturelles ont aidé les Egyptiens à se débarrasser des colons britanniques. L’Égypte fait alors partie des grandes puissances mondiales et est indépendante.

« Les faits remontaient à un peu plus de quarante ans. Fatma était née dans le monde qu’al-Jahiz avait laissé derrière lui, un monde transformé par la magie et le surnaturel. Les djinns, fidèles à leur vocation de bâtisseurs, s’étaient très bien adaptés à l’époque, produisant plus de merveilles qu’on ne pouvait en compter. L’Égypte siégeait désormais parmi les puissants, et Le Caire en était le cœur battant. »

On remarque donc que les deux nouvelles de P. Djèlí Clark montrent des sociétés où les personnages non-blancs sont parvenus à se libérer de la domination blanche, qu’elle soit représentée par l’esclavage ou la colonisation. Ils créent alors des états indépendants, mais menacés. La Nouvelle Orléans est ainsi frappée par la menace des Tambours du dieu Noir, qui donnent leur nom au récit et font référence au dieu afro-américain du tonnerre Shango et sont une arme de guerre redoutable pouvant noyer la ville sous les flots. Sans trop en dévoiler, le Caire est quant à lui victime d’un complot que ne renierait pas un certain Howard Philips Lovecraft.

Les deux personnages point de vue des nouvelles, Jacqueline, dite « LaVrille » pour Les Tambours du dieu noir et l’enquêtrice Fatma el-Sha’arawi pour L’étrange affaire du djinn du Caire, doivent alors protéger leurs villes respectives contre des forces qui veulent les dominer.

La Nouvelle Orléans alternative des Tambours du dieu noir nous est ainsi montrée à travers le regard à la première personne, LaVrille, âgée de treize ans. Son point de vue est retranscrit avec une forte dose d’oralité, qu’on remarque dans des phrases telles que « Moi, je m’a réservé un emplacement de choix » ou « alors autant que ce soye moi », qui montrent qu’elle emploie une grammaire extrêmement relâchée. On observe aussi que la capitaine du dirigeable Détrousseur de minuit, Anne Marie St. Augustine, qui accompagne LaVrille dans son enquête sur Les Tambours du dieu noir, parle créole. L’usage du créole de la capitaine a été adapté par la traductrice pour qu’il ressorte mieux, ce qui a du être assez difficile, mais personnellement, je trouve que cela fonctionne très bien !

« — Parti avec mwen ? s’étonne-t-elle. Où ça ?

— Sur vot’ dirigeable, le Détrousseur de Minuit. Je veux faire partie de l’équipage. »

Le front plissé, elle me regarde comme si j’avais sauté de ma peau pour exécuter une foutue gigue, puis elle éclate de rire. Rien qu’à l’entendre, mes poils se dressent. « Quiça mwen feré d’une pickney conm toi abò de mon bâtiment ? » Elle inspire bruyamment entre ses dents. « Tu pensé mwen vouloir une tifille à sivéyé ?

— J’ai pas besoin qu’on me surveille », je m’emporte malgré moi. »

LaVrille cherche ainsi à échapper à sa condition de jeune fille issue des classes laborieuses de la Nouvelle Orléans pour partir à l’aventure, malgré son manque de manières et d’éducation. On l’observe notamment dans les reproches que lui adresse Madame Diouf, gérante du bordel du « Shá Rouj » et « les sœurs de la Famille sacrée », des bonnes sœurs qui veillent sur la Nouvelle Orléans et dotées d’un immense réseau d’informateurs (oui oui), mais aussi la capitaine. Fatma el-Sha’arawi, elle, s’oppose aux hommes de son service et à leur vision traditionnaliste des mœurs et des vêtements, en s’habillant à l’anglaise. P. Djèlí Clark met donc en scène des personnages féminins forts qui s’émancipent du contrôle que l’on veut exercer sur elles.

Les deux nouvelles font la part belle à des formes de surnaturel magique. Les Tambours du dieu noir montre en effet que des divinités afro-américaines, les orishas, peuvent se lier à un être humain et lui donner des capacités surnaturelles. LaVrille porte ainsi une part d’Oya la déesse des vents, tandis que la capitaine est liée à Oshun, déesse des rivières.

L’étrange affaire du Djinn du Caire décrit des djinns (oui oui), des Anges dans des corps mécaniques immenses, mais aussi des horreurs cosmiques. Les deux récits comportent également des éléments de technologie plus ou moins avancés, avec des dirigeables, des « fiacres autonomes », des armes à feu, mais aussi des automates fabriqués par les anges. On remarque donc que magie et technologie se côtoient dans les récits, ce qui les rend particulièrement modernes !

Le mot de la fin

Les Tambours du dieu noir est un recueil qui regroupe deux récits de P. Djèlí Clark qui se situent dans des univers de Fantasy uchroniques qui mêlent magie et technologie, au sein de deux villes marquées par le surnaturel, la Nouvelle Orléans et le Caire, dont les populations non-blanches se sont libérées du joug des esclavagistes et des colonisateurs au cours des XIXème et XXème siècle.

À travers le regard de deux personnages féminins forts qui affrontent des confédérés et des horreurs cosmiques, l’auteur met en scène des univers originaux et modernes, dans tous les sens du terme !

Si vous aimez les uchronies et la Fantasy, je vous recommande la lecture des Tambours du dieu noir !

Les Chroniques du Chroniqueur

Publié le 8 juin 2021

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