Ces fictions de P. Djèlí Clark, par ailleurs historien spécialisé dans les études africaines, traitent en fond de cour de l’émancipation, de l’égalité sociale et de genre, de la perpétuation de cultures opprimées.

Les Tambours du dieu noir - Libération
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« La Nouvelle-Orléans ne dort jamais, disait ma maman. Comme si la ville savait pas comment faire. »

L’incipit des Tambours du dieu noir définit l’atmosphère dans laquelle se déroulent les deux textes de ce recueil. Le court roman qui donne le nom au livre se situe donc à la Nouvelle-Orléans, parcourue et connue dans les moindres détails par Jacqueline, 13 ans, pickpocket très maligne. Dans la nouvelle qui suit, l’Etrange Affaire du djinn du Caire, c’est la capitale égyptienne que l’on sillonne de nuit derrière une enquêtrice dandy à chapeau melon, après la découverte d’un djinn mort dans de mystérieuses circonstances. Sorte de beautés fatales, les villes de P. Djèlí Clark regorgent de mystères et de dangers, de zones périphériques où il ne fait pas bon s’aventurer mais où il faudra bien. L’autre affinité entre les deux histoires réside dans le choix d’héroïnes. Jacqueline, autrement appelée «LaVrille», joue le rôle d’éclaireuse et d’aiguillon dans la première, avide de rejoindre l’équipage de la capitaine Ann-Marie St Augustine – autre puissant personnage féminin – qui commande un aéronef. A elles deux, elles vont tenter de récupérer les «tambours du dieu noir» dont les confédérés se sont emparés grâce à un scientifique haïtien. Au Caire, Fatma el-Sha’arawi mène l’enquête en tant qu’agente spéciale du ministère égyptien de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles, et elle finira par la résoudre grâce à l’aide d’une autre femme redoutablement véloce, Siti. Dans son premier roman tout juste sorti le 11 mai aux Etats-Unis, A Master of Djinn (Tor), l’auteur reprend le personnage de Fatma el-Sha’arawi dans une nouvelle investigation.

Publiée en 2016, l’Etrange Affaire du djinn du Caire joue sur les ressorts relativement classiques du detective novel, avec le flic de service un peu lourdaud qui colle au train, les indices qui s’ajoutent pour parvenir au dénouement et les menaces de mort. Le sont moins, bien entendu la population formée d’anges, de djinns et autres goules. Le charme plus prononcé des Tambours du dieu noir, paru en 2018, vient de sa langue aux accents créoles et de sa détermination temporelle. C’est une uchronie située en 1884 dans une Nouvelle-Orléans indépendante, alors que la guerre de Sécession fait encore rage. Elle joue sur la mythologie africaine, la narratrice adolescente se trouve investie de la magie de Orisha Oya, déesse des tempêtes, de la mort et de la renaissance. La capitaine se trouve, elle, être dépositaire de celle de Oshun, la maîtresse des rivières. Ces fictions de P. Djèlí Clark, par ailleurs historien spécialisé dans les études africaines, traitent en fond de cour de l’émancipation, de l’égalité sociale et de genre, de la perpétuation de cultures opprimées.

Frédérique Roussel

Publié le 4 juin 2021

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